L’unique mérite de la consultation référendaire du 16 novembre au Gabon a, sans doute, été un éclairci jeté sur le paysage politique national.
Cet éclairci a permis que se matérialise une frontière, de plus en plus visible, entre les tenants du pouvoir et ceux qui peuvent désormais être qualifiés d’opposants. Pendant très longtemps, le flou qui régnait au sein dudit paysage politique rendait invisible une telle frontière. L’absence de débats à caractère idéologique, les transhumances politiques- on passait facilement d’un camp à un autre- au gré des intérêts et des ambitions personnelles bassement égoïstes, les frustrations et les déceptions également personnelles, les règlements de comptes, l’aigreur ; tout ceci ne permettait pas de savoir qui était véritablement dans l’opposition et qui était du côté du pouvoir établi. Toute ligne de démarcation était par conséquent difficile à tracer. C’était un flou artistique.
Le coup d’Etat militaire du 30 août 2023 et le référendum qui s’en est suivi permettent aujourd’hui de faire une lecture relativement bonne du positionnement des acteurs qui animent le paysage politique gabonais. On a progressivement une idée plus ou moins claire des forces en présence et du pôle qui est le leur.
Détiennent désormais le pouvoir : les militaires membres du CTRI, le Parti Démocratique gabonais, les transfuges de l’ex-opposition à Ali Bongo Ondimba, quelques activistes issus généralement de la diaspora et des agitateurs désœuvrés de quelques organisations de la société civile.
Peuvent être classés dans une opposition de principe, voire de valeurs, certains qui ont récemment dit « Non » à une constitution qui renforce une autocratie qui existait déjà avant le coup d’Etat militaire ; « Non » également à la division des Gabonais par l’instauration dans la Constitution de dispositions discriminatoires, voire ségrégationnistes qui masquent à peine une xénophobie et un ultra- micro- nationalisme obscurantiste et rétrograde ; « Non « à une amnistie sans connaitre les délits ou les crimes de ceux qui en bénéficient ; « Non » ; « Non » à une réécriture négationniste de l’histoire politique du Gabon.
L’alliance entre les officiers membres du CTRI et le PDG parait naturelle. Il s’agit de sardines dans une même boîte .Tout le temps que le PDG et ses dirigeants historiques,, qu’étaient Omar Bongo Ondimba et Ali Bongo Ondimba, détenaient les rênes du pays, ils ont toujours été protégés par les différents corps de l’armée gabonaise, plus particulièrement la Garde Républicaine. Ce sont ces différents corps qui ont sauvé le régime incarné par le PDG en 1993, 2005, 2009 et 2016. De tristes dates de l’histoire politique du Gabon. Beaucoup de citoyens ont perdu leurs vies, d’autres grièvement blessés, cependant que d’autres encore se sont retrouvés enfermés dans d’obscures cellules des geôles des prisons du pays, au cours de crises et manifestations postélectorales matées dans le sang par des hommes en treillis.
Quant aux transfuges de l’ex-opposition à Ali Bongo Ondimba, il s’agit pour la majorité d’entre eux d’anciens « barons » de l’ex-parti unique qui étaient allés se recycler dans l’opposition en raison du traitement que leur avait réservé le successeur de son père dans le fauteuil présidentiel du Palais de marbre du bord de mer de Libreville, une fois parvenu au trône à la suite d’une dévolution monarchique. Hargneux, offensifs, combattifs, prêts à mourir pour revenir aux affaires, ils n’avaient que de la haine vis-à-vis du fils d’Omar Bongo Ondimba. Et le lui ont fait savoir de fortes et belles manières pendant quatorze (14) ans pour certains, sans fléchir.
Ils ne peuvent donc aujourd’hui que devenir des inconditionnels du CTRI qui les a sortis de cette opposition dans laquelle ils n’en pouvaient plus et ne tenaient plus. Et les voilà qui ont retrouvé leurs rentes et jouir des privilèges d’antan. Le CTRI a ainsi sonné la fin de leur opposition et ils sont prêts à tout lui concéder, même certaines choses qu’ils ne toléraient pas hier d’Ali Bongo Ondimba.
Les réseaux sociaux aidant, certains activistes ne sont, eux, entrés dans l’arène politique rien qu’en 2016, émus et mus par les dramatiques évènements survenus dans le pays cette année. Depuis l’extérieur, ils ont ouvert un front anti- Ali Bongo Ondimba qui a rendu célèbres certains d’entre eux. Lesquels ont été récompensés dès que le CTRI s’est emparé du pouvoir. Et les voilà qui cautionnent tout ce qu’ils reprochaient hier au pouvoir déchu.
Il n’y a donc plus, comme avant le 30 août 2023, une « majorité » et une « opposition » au sein du paysage politique gabonais. Cette caricature s’est effacée. Le vote de la nouvelle constitution vient de montrer qu’il existe désormais une frontière qui sépare d’un côté les partisans de l’autocratie, de la discrimination, de la xénophobie, d’un micro-nationalisme exacerbé et du repli identitaire ethnique ; et de l’autre côté des hommes et des femmes attachés à un certain nombre de valeurs, dont celles de la démocratie, de l’Etat de droit , du vivre-ensemble dans une nation où tous les citoyens ont les mêmes droits et devoirs, du sentiment d’appartenir d’abord à cette nation et non à une ethnie, de l’ouverture vers l’extérieur.