S’il est un débat que nul n’aborde jamais au sein du paysage politique gabonais, c’est bien celui du rôle et des missions des forces de défense et de sécurité dans une démocratie. En un mot, de l’armée. Un débat véritablement tabou au Gabon. Et pourtant, de ces rôles et missions des hommes et femmes en treillis dépendent la stabilité politique d’un pays et la consolidation d’un Etat de droit démocratique.
Ces rôles bien définis et encadrés, le pays ne court plus le risque d’un coup d’Etat militaire. As –t-on jamais entendu des bruits de botte dans des pays comme le Sénégal, le Ghana ? Un tel évènement, le coup d’Etat militaire, peut-il survenir dans les grandes démocraties occidentales ?
Il est difficile de l’imaginer.
Tirant des leçons des évènements survenus dans le pays le 18 février 1964, la FrançAfrique, pilotée de main de maître par le très tristement célèbre Jacques Foccart, après une manipulation de la Constitution qui fit d’Albert Bernard Bongo le défunt constitutionnel de Léon Mba Minko m’Edang, la FrançAfrique, disions-nous, aida le nouveau chef d’Etat gabonais à constituer autour de lui une garde prétorienne. Le très sinistre Bob Denard y contribua.
Ainsi est née ce qu’était la Garde présidentielle, devenue suite aux « Accords de Paris de 1994 la Garde républicaine. S’adressant à feu Angondjé qui en faisant, avec insistance, le défunt chef d’Etat, Omar Bongo lui fit cette observation « Me, cela changera quoi en remplaçant le P par le G » ? Cela en dit long.
En dépit de ce changement artificiel la garde présidentielle, devenue garde républicaine garda sa nature. Il n’y a qu’à regarder l’origine géo-ethnique de tous les officiers supérieurs qui l’ont dirigée jusqu’à ce jour. Bien entendu, et progressivement, le recrutement s’est élargi à tous les Gabonais venant de plusieurs horizons géographiques et ethniques pour lui donner une coloration nationale.
Parallèlement à cette garde prétorienne, tous les autres corps d’armée ont été mis au service des régimes politiques, y compris des corps dont la vocation est d’accomplir d’autres missions tels Les Forces de Police nationale, les sapeurs –pompiers et la sécurité pénitentiaire. Du coup le Gabon regorge de généraux plus que tout autre pays dans le monde. On en compte au mètre carré.
De tous les dialogues politiques qu’il y a eus jusqu’à présent entre acteurs politiques gabonais, il n ‘ y a que celui de Paris qui a eu à aborder cette épineuse question du rôle et des missions de l’armée dans une démocratie encore en gestation, lesquels consistent prioritairement à défendre l’intégrité du territoire national et à sécuriser les personnes et les biens.
Un tel débat est d’autant plus important qu’il s’agit d’examiner les rapports qu’une armée républicaine doit entretenir non seulement avec la sphère politique, qu’avec les citoyens qu’elle est censée protéger.
Jusqu’au 30 août 2023 dernier, ces rapports étaient beaucoup plus vécus sous l’angle de la protection d’un pouvoir politique et d’un affrontement permanent entre les citoyens qui usaient de leurs droits pour exprimer leurs revendications, leurs frustrations, leurs récriminations, rancœurs, leurs contestations de faux résultats électoraux et les unités d’élite des forces de défense et de sécurité, dont plus particulièrement la Garde républicaine.
En 1993, de faux résultats sont proclamés à l’issue de la toute première élection présidentielle de l’ère multipartite ; sans attendre la fin du dépouillement des urnes sur toute l’étendue du territoire national, notamment à Libreville, le Ministre de l’intérieur de l’époque, un certain Antoine Mboumbou Miyakou – paix à son âme- proclame le candidat Omar Bongo Ondimba vainqueur. Tollé général dans le pays, plus particulièrement dans les principaux centres urbains. Libreville s’embrase. Les rues sont prises d’assaut. On frôle l’émeute.
Les forces de défense et de sécurité intervinrent brutalement et presque sauvagement. Il eut des morts et de nombreux blessés. Plusieurs autres personnes furent interpellées et incarcérés. Il eut les négociations et les « Accords de Paris, et le régime d’Omar Bongo Ondimba fut sauvé.
Presque même scénario en 2005, lorsque les partisans de Pierre Mamboundou revendiquèrent sa victoire à l’issue de l’élection présidentielle de cette année. Une partie de Libreville fut transformée en no man’s land. Là encore les forces de défense et de sécurité intervinrent avec fermeté et brutalité. Pierre Mamboundou fut exfiltré et tout se calma. Une fois de plus, le régime d’Omar Bongo Ondimba fut sauvé.
2009 fut l’année d’une élection présidentielle anticipée au Gabon, suite au décès d’Mar Bongo Ondimba à Barcelone en Espagne. Se sont particulièrement affrontés, les deux frères ennemis qu’étaient Ali Bongo Ondimba et André mba Obame. Les résultats de cette élection furent « inversés », selon Monsieur Michel De Bonnecorse, le « Mr Afrique » de l’époque du défunt chef de l’Etat français Jacques Chirac.
La suite est bien connue. Il eut mort d’homme à Libreville, de nombreux blessés et plusieurs arrestations à Libreville et à Port-Gentil, œuvre de la GR et autres forces non identifiées (FNI). Et Ali Bongo s’installa dans le fauteuil présidentiel, succédant ainsi à son père. Et la dévolution monarchique fut consommée, grâce principalement à la Garde républicaine.
2016, la répression aveugle et sanglante fut paroxysmique. Vainqueur dans les urnes et vaincu sur papier, Jean Ping fut écarté du pouvoir. Furieux, les Gabonais prirent les rues d’assaut. Des immeubles furent brûlés et des véhicules caillassés. Des torrents de sang coulèrent, et de nombreuses familles endeuillées. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1016, le quartier général de Jean Ping fut pris d’assaut et bombardé. Les images firent le tour du monde. La GR et d’autres forces non identifiées(FNI) furent à la manœuvre.
2023, on a encore frôlé le pire. Heureusement que les contradictions entre la Young Team et les officiers de la Garde républicaine ont changé le cours de l’histoire du Pays. Les résultats de l’élection présidentielle du 27 août 2023 avaient, une fois de plus, été « tronqués », selon les auteurs du coup d’Etat militaire survenus dans la nuit du 30 août 2023.
Tous ces évènements sus-rappelés montrent donc que depuis toujours, le cœur du pouvoir au Gabon se trouve au sein des Forces défense et de sécurité. La Garde républicaine en est la principale artère, l’aorte. C’est par conséquent ce cœur qu’il est impérieux d’examiner pour moduler son fonctionnement.
Tel qu’il a fonctionné jusqu’à nos jours, il n’a provoqué que de graves accidents vasculaires cardiaques.