Nouvelle constitution : une loi aux germes du « Non »

A-t-on voulu tapoter la gazelle par le bas ventre pour savoir de quelle manière allait-elle réagir ? C’est l’impression qui se dégage après lec[CM1] ture de la première mouture de la loi fondamentale de la République gabonaise en cours d’élaboration. Cette dernière a été publiée à travers les réseaux sociaux. Et des réactions  s’en sont suivies. Des réactions qui traduisent un rejet probable, tellement le texte porte des germes du « Non ».

 Ce serait rassurant si, effectivement, comme cela est dit par ci et par là, il ne s’agit que de l’intox, un fax-news.

Prenons d’abord l’exemple du système politique proposé. Il est question d’un régime présidentiel. Dit ainsi, le débat reste ouvert. Si un tel système rend le chef de l’exécutif responsable des politiques menées sur la base du projet proposé au peuple, ce qui empêche de  toujours avoir un Premier ministre bouc ’émissaire, une sorte de fusible à faire sauter dès la moindre tension, il n’en demeure pas moins que la présence d’un Vice- président de la République, élu en même temps que le Président de la république, réduirait une hypercentralisation des pouvoirs dans les mains d’un seul individu.

 Et ce n’est pas le fait d’avoir un Vice- président de la République et un Vice-président du gouvernement, nommés par le Président de la République, sans savoir exactement quels rôles vont-ils jouer, en dehors de meubler le décor, qui change la donne. Il y a là les germes d’un système autocratique.

Il en est de même d’une séparation effective des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, avec l’impossibilité constitutionnelle, pour le chef de l’exécutif, de dissoudre l’Assemblée nationale. On rétorquera qu’il est permis à cette dernière de destituer le chef de l’exécutif en cas de haute trahison et de violation de serment. Cependant, se sentant menacé par une éventuelle destitution, ce dernier ne peut-il prendre les devants en prononçant la dissolution de l’Assemblée, se mettant ainsi à l’abri d’une telle destitution ?

 Cela s’était déjà produit au Gabon en 1964 et la crise engendrée a débouché sur le coup d’Etat militaire du 18 février de la même année.

De même, n’affirmerait-on pas la même séparation des pouvoirs en sortant, cette fois-ci, le judiciaire de la tutelle de l’exécutif, puisque dans cette  mouture qui circule à travers les réseaux sociaux, le chef de l’exécutif continuera, comme par le passé, à présider le Conseil supérieur de la magistrature qui est l’autorité judiciaire qui « veille à la bonne administration de la justice et statue de ce fait sur les nominations, les affectations, les avancements et la discipline des magistrats ».

 Quelle indépendance, si l’on veut quelle autonomie d’action, ces derniers peuvent-ils alors avoir vis-à-vis du chef de l’exécutif, lequel préside un Conseil qui les nomme, les affecte, procède à leurs avancements de carrière et les sanctionne en cas de non- respect de la discipline ?

Venons-en à d’autres aspects qui fâchent et qui portent les  germes d’un « Non », lequel risque d’être massif. Toujours dans cette nouvelle mouture de la loi fondamentale gabonaise, dans le Titre II relatifs aux principes et valeurs de la République, il est écrit noir sur blanc (article 41, alinéa 2) : « la République gabonaise assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction d’origine, de race, de sexe, d’opinion ou de religion ». Il est bien écrit ici : «égalité devant la loi, sans distinction d’origine… ».

Puis un peu plus loin, et flagrantes contradictions ! Dans le Titre III relatif au pouvoir exécutif et à propos du Président de la République, (chapitre I, article 53), on lit : « sont éligibles à la Présidence de la République, tous les Gabonais des deux sexes remplissant les conditions ci-après : « être nés de père et de mère gabonais, eux-mêmes nés Gabonais ; avoir la nationalité gabonaise unique et exclusive ; être âgés de 35 ans au moins et de 70 ans au plus ; être marié(e) à un ou une Gabonais (e) de père et de mère ; avoir résidé au Gabon pendant 3 ans  sans discontinuité avant l’élection présidentielle ; parler au moins une langue locale ; jouir d’un Etat complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège médical désigné par la Cour Constitutionnelle devant laquelle il prête serment ; jouir de ses droits civils et politiques »

Ainsi donc, des membres de nombreuses générations de familles gabonaises issues de couples mixtes, ce depuis l’époque coloniale, sont interdits de se porter candidat à la Présidence de la République, en raison de leurs origines.

 Cela ne s’appelle-t-il pas « égalité de tous les citoyens devant la loi   par distinction des origines » ? De père Kenyan, Barak Obama n’a-t-il pas été l’un des plus brillants chefs de l’Etat des Etats-Unis d’ Amérique ? Les parents de Nicolas Sarkozy, ancien Chef d’Etat français ne venaient-ils pas de Hongrie ? Si elle devient Présidente des Etats-Unis d’Amérique, Kamala Harris n’est-elle pas de père jamaïcain et de mère indienne ?

 Et elles sont nombreuses, ces familles. Beaucoup plus nombreuses sur la côte Atlantique où les colons européens ont eu leurs premiers contacts avec les autochtones, elles sont également essaimées sur toute l’étendue du territoire national, en raison de nombreux mariages entre Gabonais, notamment ceux-là qui sont allés poursuivre leurs études supérieures  à l’étranger, et des personnes qu’ils y ont rencontrées.

 Toujours à ce propos, tous les Gabonais nés avant le 17 août 1960 sont-ils de père et de mères nés Gabonais, puisqu’ils sont nés en Territoire français d’Outre-mer ? La province du Haut- Ogooué par exemple n’a été rattachée à ce territoire rien qu’en 1945.

 Tout ce monde va-t-il voter « Oui » en se faisant Hara Kiri. Que dire de nombreux jeunes Gabonais ayant acquis la nationalité française, par exemple, en raison du droit du sol, parce que leurs parents y effectuaient leurs études, tout en ayant droit à la gabonaise.

S’agissant maintenant de la disposition qui voudrait que le candidat à la Présidence de la République devrait être marié(e) à un  ou une Gabonais(e) de père et de mère. Le mariage étant une affaire strictement intime et privée, la constitution qui est un lieu commun de tous devait-elle s’y mêler ? De surcroit, jusqu’au 30 août 2023, tous les chefs d’Etat gabonais ont eu des épouses d’origine étrangère, Léon Mba avait une Centrafricaine, Omar Bongo une Congolaise et Ali Bongo une française, est –ce c’est cela qui est à l’origine des problèmes vécus au Gabon depuis lors ? Dans d’autres pays, en Côte d’Ivoire par exemple, Alassane Dramane Ouattara est marié à une française, Obiang Nguema Mbazo à une Sao-Toméenne, ces pays d’Afrique se portent-ils plus mal que d’autres ? An France Nicolas Sarkozy, lorsqu’il[CM2]  était chef de l’Etat s’était marié à Carly Bruni, d’origine italienne, quel problème cela a-t-il causé à son pays.

Cela s’appelle proposer de fausses réponses à de vraies questions.


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