En soixante-quatre (64) années d’indépendance formelle, le moins que l’on puisse dire est que l’Etat rentier néocolonial légué à une certaine élite gabonaise fait preuve de solidité, tellement ses fondations ont été jusqu’à ce jour inébranlables.
De Léon Mba Minko m’Edang à Brice Clotaire Oligui Nguema, en passant par Omar Bongo Ondimba et Ali Bongo Ondimba, l’édifice est toujours debout. Même ceux-là qui ont tenté de le fissurer ne voulaient pas de son effondrement. Tout au contraire, ils voulaient tout simplement y jouer les premiers rôles. Ils ne voulaient rien d’autre qu’être « khalife à la place du khalife », comme dirait l’ancien Premier ministre d’Ali Bongo Ondimba, Alain Claude Bilié by Nze, dans une interview récemment accordée à Radio France Internationale.
Et voilà pourquoi le débat politique gabonais n’a été jusqu’à présent focalisé rien que sur des personnes. Il n’y a jamais eu une perspective radicale de sortir de l’Etat- rentier néocolonial instauré dans le pays au moment de la décolonisation. Un Etat- rentier soumis au diktat du néocolonialisme où les multinationales étrangères, notamment françaises, ont la mainmise sur l’économie, laissant les élites autochtones profiter des miettes qui ne peuvent contribuer au processus d’accumulation des capitaux à même de développer le pays, mais qui ne servent qu’à s’enrichir individuellement.
Raison pour laquelle, il est illusoire de parler de « libération » pour qualifier les évènements survenus dans le pays le 30 août 2023. On s’est libéré de qui, de quoi et par qui, quand on sait que les mêmes qui ont servi les pouvoirs des Bongo, fils et père, sont toujours là, aux premières loges de la transition en cours : les Jean François Ndoungou, Paulette Missambo, Barro Chambrier, Séraphin Moudounga, Charles Mba, Guy Bertrand Mapangou, Gervais Oniane, Jonathan Bignoumba, Jean François Ntoutoume Emane et Jean Ping ne sont pas loin, nous en passons.
C’est vrai que plusieurs d’entre eux sont allés, un moment donné, se recycler dans l’opposition à Ali Bongo Ondimba, ce pour des raisons diverses. Ils s’en sont libérés avec l’avènement du CTRI. Eux alors, et au moins, peuvent parler de « coup de libération ». Ils se sont libérés de cette opposition à laquelle ils n’étaient pas habitués et dans laquelle ils ne pouvaient plus tenir.
Depuis que le Gabon a accédé à la souveraineté internationale, il y a ainsi un renouvellement continu et permanent d’une élite issue du même cocon politique, aux commandes de l’Etat. Un Bongo remplace un autre, un Chambrier succède à un autre, un Ntoutoume Emane à la place d’un autre, un Mboumbou Miyakou prend la place d’un un autre Mboumbou Miyakou, un Ping est poussé par son géniteur pour émerger, une fille Rogombé prend la place de sa génitrice au sérail, un Mamiaka se substitue à son père, une Myboto, ou le gendre, se met autour de la mangeoire etc.
Les exemples de succession politique par filiation familiale sont légion au Gabon, que ce soit sur le plan matrimonial que patrimonial. Et Alain Claude Bilié by Nze, pour reparler de ce dernier, le montre très bien lorsqu’il analyse, dans son interview sus-rappelée, la manière dont les familles de Bongoville (ex-Lewai) et de Ngouoni du Haut- Ogooué, dans le Sud-Est du Gabon, se sont partagé les pouvoirs politique et militaire depuis le long règne d’Omar Bongo à la tête de l’Etat, jusqu’au coup d’Etat de Brice Clotaire Oligui Nguema, en passant par Ali Bongo Ondimba.
Albert Ondo Ossa n’avait pas dit autre chose en parlant de « révolution de palais » pour qualifier la prise du pouvoir politique par le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, lui qui détenait déjà le pouvoir militaire en tant que commandant en chef de la Garde républicaine et originaire en partie de Ngouoni. Beaucoup lui en ont voulu.
Il se pose donc la question de savoir qui détient les pouvoirs politique et militaire au Gabon depuis l’accession du pays à la souveraineté internationale ? La réponse est simple : il s’agit d’une même élite néocoloniale qui se les partage entre familles, dans le sens nucléaire du terme.
Cette élite s’appuie beaucoup plus, non sur le peuple gabonais, mais plutôt sur l’extérieur. Pour cette raison le Gabon, notamment aux époques de Léon Mba Minko m’Edang et d’Omar Bongo Ondimba, a longtemps été la plaque tournante de la nébuleuse FrançAfrique dans la sous-région d’Afrique Centrale et même au-delà. Le très tristement Jacques Foccart y séjournait constamment. Un certain Bob Denard, lui aussi de triste renommée, mercenaire à la solde de la FrançAfrique, spécialiste de basses besognes en Afrique, y avait également ses quartiers.
Du coup, la conviction partagée par ladite élite néocoloniale est qu’aucun changement politique, en termes d’alternance au sommet de l’Etat, ne peut survenir au Gabon sans la caution et l’onction de la France. Raison pour laquelle chaque fois qu’il y a une élection présidentielle dans le pays, ses représentants vont tous faire le pieds de grue dans les coulisses, les couloirs et les antichambres du Palais de l’Elysée et du Quai d’Orsay, quand ils ne cherchent à rencontrer des barbouzes de la FrançAfrique tels Robert Bourgi et autres, histoire de se faire adouber, tournant ainsi le dos au peuple gabonais lui-même détenteur de la souveraineté.
Et lorsqu’Ali Claude Bilié by Nze, pour se référer toujours à ce qu’il a dit dans son interview, pense que la « France n’est pas hostile » à la nouvelle situation crée au Gabon le 30 août 2023, il ne croit pas si bien dire, au regard des relations exécrables entretenues aujourd’hui par le Pays de Charles De Gaulle avec certains pays du Sahel, Mali, Burkina- Faso, Niger, où des évènements similaires ont eu lieu.
Les intérêts divers de cette élite sont fortement et tellement imbriqués qu’il il est difficile, pour le moment, d’entrevoir un renversement total de table au Gabon. C’est à dire un changement qui aurait des allures d’une révolution. Autrement dit une transformation radicale de la société. La nébuleuse « Delta synergie » en fait foi. On les y retrouve presque tous, à des degrés divers.
Une telle situation risque de perdurer jusqu’à ce que les forces patriotiques, démocratiques et progressistes gabonaises en prennent conscience et s’organisent pour un tel et vrai changement. Les organisations actuelles en termes de partis politiques, lesquels essaiment le paysage politique national, ne sont que des regroupements qui épousent des contours géo-ethniques et n’offrent aucune perspective pour sortir de l’Etat-rentier néocolonial. Elles sont par les temps qui courent supplantées par des associations qui font de plus en plus parler d’elles et qui occupent, elles aussi, des espaces géo-ethniques, géo-claniques, voire familiaux.
Difficile dans ce cas de construire une nation avec une vision beaucoup plus large, reposant sur un substrat idéologique qui transcende ces frontières géo-ethniques, géo-claniques et les cercles familiaux.