Lors du Dialogue national inclusif-exclusif d’Angondjé, on a parlé de tout, histoire de refaire le Gabon. Si l’on peut regretter que l’on se soit écarté de l’objectif que se sont assignés les militaires eux-mêmes, celui de la restauration des institutions, ce qui a abouti à des recommandations ubuesques qui sont aujourd’hui tant décriées, il est également à noter qu’une question fondamentale n’a guère été abordée, celle du rôle de l’armée dans un Etat démocratique et républicain.
C’est vrai qu’aborder cette question fondamentale impose qu’on ait posé les bases d’un tel Etat de droit démocratique, soutenu par des institutions fortes. C’est vrai aussi que cela ne met pas forcément le pays à l’abri d’éventuels coups d’Etat militaires. Bien de pays d’’Afrique ont montré que même en verrouillant leurs constitutions, avec le souci de ne permettre à aucun chef d’Etat de demeurer éternellement au pouvoir, un coup d’Etat militaire peut toujours avoir lieu. Des pays comme le Mali, le Burkina-Faso ou le Niger en sont des exemples patents. Amani Toumani Touré a été renversé peu de temps avant la fin de son second mandat. La loi fondamentale de son pays ne lui permettait de se porter de nouveau candidat à l’élection présidentielle. Roch Marc Kabore a lui aussi été déposé par les militaires en début de son deuxième et dernier mandat. Mohammed Bazoum a été également renversé par les militaires au début de son premier mandat. La constitution ne lui permettait pas d’en faire deux.
C’est donc dire à quel point, au stade actuel des processus démocratiques en Afrique subsaharienne notamment, rien ne met à l’abri d’un coup d’Etat militaire.
D’où l’impérieuse nécessité d’examiner sérieusement les rapports entre l’armée, la sphère politique et les citoyens. Tel n’a guère été l’une des préoccupations majeure des dialogueurs d’Angondjé.
L’armée gabonaise, pour ne parler que d’elle, est intervenue dans l’arène politique à deux reprises, en 1964 et 2023, ce pour des mobiles différents. En 1964, c’était pour mettre un terme aux dérives autoritaires du chef de l’Etat de l’époque, feu Président Léon Mba, non sans remettre le pouvoir à un gouvernement essentiellement constitué de civils, lequel était dirigé par Jean Hilaire Aubame Eyeghe. Et récemment, en août 2023, pour empêcher que ne soit perpétré un énième coup de force électoral. Dans les deux cas, les mobiles sont louables et salutaires. L’armée n’étant intervenue dans l’arène politique rien que pour s’opposer aux turpitudes des acteurs politiques civils.
Cependant, et faut-il le reconnaitre, de 1964 à 2023, l’armée gabonaise est devenue moins républicaine .Tout en garantissant l’intégrité territoriale, elle a été beaucoup plus au service des tenants du pouvoir, c’est-à-dire de la famille Bongo notamment depuis 1968. Elle en était, avec le Parti Démocratique Gabonais, l’un des piliers central. Et depuis 1990 avec la Cour Constitutionnelle présidée par Marie Madeleine Mborantsouo.
Ce pouvoir des Bongo, père et fils, l’armée gabonaise l’a sorti des situations très difficiles. N’eut été son intervention, Paul Mba Abessole par exemple s’emparait du pouvoir dans les urnes en 1993.L’on se souviendra du bombardement de sa « Radio Soleil » dans le tourment de la crise postélectorale de cette année. Dans les rues de Libreville, des cadavres furent ramassés, tués par des escadrons de la mort des différents corps d’élite de ladite armée. Lorsqu’il proclama le résultat des élections de manière anticipée, toujours cette année 1993, sans attendre la fin du dépouillement de toutes les urnes, le Ministre de l’Intérieur de l’époque, feu Antoine Dépadoue Mboumba Miyakou, avait à ses côtés le Ministre de la défense, Martin Fidèle Magnaga qui décréta dans la foulée un couvre-feu assorti d’un Etat d’urgence. Et les chars d’assaut furent déployés dans toutes les artères de Libreville. Le reste est bien connu, le pouvoir de Bongo-père fut sauvé.
Tirant les leçons de cette intrusion militaire dans le débat politique national et dans la perspective des négociations de Paris qui se préparait, et considérant que la garde présidentielle de l’époque était une garde clanique et prétorienne Maître Agondjo Okawé qui venait de lancer de manière stridente la fameuse « paix des braves, suggéra au Président Omar Bongo qui recevait l’ensemble de l’opposition, de muer la Garde présidentielle en Garde républicaine. Il eut droit à cette réponse du défunt chef de l’Etat à l’humour légendaire : « Maître, qu’est- ce que cela change quant au fond en changeant le P par R ? ». Cela en dit long sur ce qu’a été jusqu’au 30 août 2023 la Garde Républicaine ? Une Garde prétorienne au service d’un homme et de manière plus élargie d’une famille. Si elle n’avait été impliquée dans les évènements du 30 août dernier, aucun coup d’Etat n’allait avoir lieu, même pas une tentative.
Lors des évènements de 2009, suite au décès d’Omar Bongo et à l’issue de l’élection présidentielle anticipée qui eut lieu, l’armée gabonaise, tous corps confondus, a encore joué un rôle de protecteur du pouvoir en place. Sachant que les résultats de cette élection présidentielle allaient être tripatouillés comme d’habitude, André Mba Obame, fin connaisseur d’un régime politique qu’il avait lui-même servi pendant de longues années, demanda aux Gabonais partisans du changement de s’amasser devant le portail de la cité de la Démocratie et exiger que ces résultats soient annoncés publiquement. Il eut foule. Plus de cinq mille personnes se sont retrouvés sur les lieux. Puis, tout d’un coup, aux environs de 3heures du matin, l’armée chargea et prit d’assaut lesdits lieux. Débandade et sauve qui peut. Il a fallu de si peu pour que Pierre Mamboundou par exemple, dont la santé était déjà fragile, soit envoyé à trépas. André Mba Obame fut obligé de se réfugier pas loin de là. Il eut plusieurs blessés. A Port-Gentil, il eut des morts et plusieurs autres blessés. Des escadrons de la mort étaient passés par là .Cette fois-ci, c’est le pouvoir d’Ali qui fut sauvé.
En 2015, un meeting programmé au Carrefour RIO de Libreville se solda par l’assassinat de Mboulou Beka par des hommes non identifiés habillés en noir. On imagine qu’ils appartenaient à un des corps d’élite de l’armée, même si d’aucuns accréditent la thèse de mercenaires venus d’ailleurs.
Puis en 2016, ce fut le comble, le paroxysme de la répression aveugle. Après l’annonce des résultats par le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Pacôme Moubelet, une marche de contestation en principe pacifique, allant du Carrefour Charbonnage au Boulevard Triomphal de Libreville se termina en bain de sang. Jusqu’à ce jour nul ne sait combien de gabonais ont été tués par l’armée qui, par la suite, bombarda li quartier général de Jean Ping ? On est encore à spéculer là- dessus. Une fois de plus, le pouvoir d’Ali fut sauvé.
Au regard de ce court historique, Il se pose donc la problématique du rôle et des missions des forces de défense et de sécurité au Gabon. En principe elles ont pour rôle et missions mission : la défense de l’intégrité du territoire national et la sécurisation des personnes et des biens. Ont-elles joué ce rôle et accompli ces missions ? Apparemment tel n’a pas été le cas .Elles ont plutôt contribué à sauver les pouvoirs en place.
Etonnant alors redisons-le, qu’un tel débat n’ait pas eu lieu lors du Dialogue national inclusif-exclusif d’Angondjé, dans le but d’examiner, dans le fond, les rapports qu’une armée républicaine doit entretenir avec le monde politique et les citoyens qu’elle est censée protéger.
Jusqu’au 30 août 2023,ce rapport était beaucoup plus vécu sous l’angle d’un affrontement permanent, à forces inégales, entre les unités d’élite de ces forces de défense et de sécurité et ces citoyens qui ont toujours tenté d’user des droits que leur garantit la constitution pour exprimer leurs revendications, leurs frustrations, récriminations, leurs rancœurs par rapport à la manière dont le pays est gouverné ,ce à travers des revendications publiques, généralement pacifiques.
C’est vrai que force est à la loi, qu’il y a le respect de l’ordre public et que la pays a besoin de stabilité et de sérénité pour affronter les défis inhérents à son développement économique et social. Cependant, il est tout aussi important que la même loi garantisse au citoyen les droits que lui reconnaît la constitution.
Le Dialogue national inclusif- exclusif d’Angondjé a donc été une occasion ratée pour réaffirmer le caractère républicain de l’armée gabonaise.