Fête du travail et condition des salariés au Gabon

1884, les syndicats du pays le libéral au monde, en termes d’économie, prennent conscience de leur condition humaine et revendiquent un 1er Mai. La même journée est adoptée en France par l’Internationale socialiste en 1889. Elle est devenue une fête légale et fériée en 1947 sous l’impulsion de l’Union des Républiques soviétiques et Soviétiques (URSS).

Tout ceci parce que dans le système capitaliste, le travailleur ne dispose que de sa force de travail qu’il vend au propriétaire des moyens de produire les richesses comme une marchandise, ce qui permet à ce dernier de créer de la plus-value pour son propre compte, pour parler plus simple, le profit généré par la force de travail des salariés..

 Du coup, dans un tel système la rémunération du travail est toujours exagérément inférieure à celle du capital, les inégalités sont criardes et même inhumaines, la précarité et la paupérisation sont endémiques et les conditions de travail sont exécrables. Les syndicats ont mis du temps à s’imposer, leur reconnaissance et leur vie légale ont été le fruit de longues luttes. Puis, leur rôle a été déterminant dans l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs.

Dans le cas du Gabon, depuis le milieu des années 80, récession économique et régression sociale se sont installées dans le pays. Pays pourtant nanti de richesses du sol et du sous-sol, le Gabon est aussi paradoxalement l’un des pays où s’est accentuée la paupérisation ces quarante (40) dernières années, ce depuis la fin du boum pétrolier des années 70. Et même à cette époque, les fruits de la croissance économique n’étaient pas équitablement répartis.

 La crise  due à la chute brutale des cours du pétrole économique qui s’en suivie est venue encore amplifiée cette  paupérisation. Les privatisations des entreprises publiques et parapubliques de la fin des années 90, début des années 2000, imposées par les institutions de Breton Wood ont jeté encore des milliers et des milliers de salariés dans la rue, ceux de l’Octra, devenu Setrag, de Gabon -Télécom, de la Poste, d’HEVEGAB, de la SEEG, des Hôtels tels le Méridien Rédama, le Rapotchombo, l’Intercontinental, pour ne citer que ces entreprises et sociétés. Ils sont tous devenus des chômeurs et tirent le diable par la queue. Beaucoup en sont morts, dans la précarité. D’autres ont été victimes d’accidents cardio- vasculaires

Aujourd’hui,  et depuis cette époque, les vaches étant devenues de plus en plus maigres dans le pays, le travail est insuffisamment rémunéré. Ce qui creuse de plus en plus l’écart entre une minorité, qui mène un train de vie opulent et ostentatoire, et une très large majorité de la population. Une telle situation explique les récurrentes observées grèves plus particulièrement dans les secteurs de l’éducation nationale et de la santé, secteurs dépendant en grande partie de la fonction publique et qui ne suscitent plus de vocations.

Il n’y a d’ailleurs pas que les agents de l’Etat qui vivent dans la précarité, parce que mal rémunérés. Ceux des entreprises et autres sociétés privées tirent eux aussi le diable par la queue, n’ayant droit qu’à des salaires de misère. Il existe dans la sphère économique gabonaise un patronat, notamment constitué d’entrepreneurs expatriés, qui foule au pied les lois réglementant le travail salarial, en fixant selon leurs humeurs et surtout leurs appétits financiers, les montants des salaires  de leurs employés. Et malgré une flambée des prix des produits de première nécessité, ces salaires, eux, stagnent et ne sont guère indexés à cette hausse vertigineuse des prix.

 L’exemple de l’entreprise Perenco a récemment défrayé la chronique au point d’avoir suscité un déplacement express  du Ministre en charge du travail dans l’île Mandji où elle exploite du pétrole. Les travaillent se plaignent d’y être surexploités. « Nous vivons une précarité du travail et pouvons être licenciés à tout moment » déclarent-ils, avant d’ajouter « c’est l’esclavage des temps modernes que nous subissons ici ».

Se pose maintenant le rôle des syndicats. A l’époque du parti unique, il n’en existait qu’un, la Confédération syndicale Gabonaise (COSYGA). Elle était beaucoup plus un instrument dans les mains du pouvoir pour mieux contrôler le monde du travail, quand bien même ses leaders avaient bénéficié, à l’époque coloniale, d’une formation de la CGT française (Confédération Générale du Travail) dans les techniques de lutte et négociations syndicales. Après l’ouverture démocratique de 1990, d’autres organisations syndicales ont vu le jour, notamment dans les secteurs de l’éducation nationale et de la santé. La COSYGA a connu elle-même une scission avec l’émergence de la CGSL qui reprochait à la première, la COSYGA, de rester inféodée au pouvoir. Puis il  y a eu l’USAP, la CONASYSED, Dynamique unitaire et bien d’autres organisations syndicales encore.

Ces différentes syndicats et autres centrales ont mené des luttes multiformes, avec parfois risques et périls pour leurs adhérents. L’institutrice Martine Oulabou, par exemple[NM1] , y a laissé sa vie, assassinée au cours d’une marche organisée par le SENA en I992. Ses meurtriers courent toujours, et c’est sûr qu’ils ne seront jamais rattrapés. D’autres épisodes de répression ont eu à l’endroit des syndicalistes, suspensions de salaire, affectations disciplinaires, privations de libertés, intimidations et autres formes de menaces. Et les syndicats n’ont jamais baissé les bras, même si quelques-uns de leurs leaders ont confondu luttes syndicales et combats politiques. La preuve, certains d’entre eux ont franchi la frontière en devenant membre de gouvernement, directeurs de cabinets ministériel et présidentiel, parlementaires et consorts. Pour ces derniers, le syndicalisme peut mener à tout, la cause des salariés n’étant qu’un tremplin intermédiaire pour accéder à autre chose dans la sphère politique.

Quoi qu’il en soit, avec le CTRI, quelques injustices ont été réparées. Il y a eu des rappels de salaires. Les pensions des retraités ont été arrimées au nouvel mode de calcul dont le décret d’application date de 2015.

Cependant, beaucoup d’autres revendications subsistent et l’accalmie sociale en dépend. Le « Front social » reste en alerte. La hausse des prix des produits de première nécessité de ces derniers temps, en dépit de la mercuriale imposée par les pouvoirs publics, ne s’accompagne pas d’une hausse des salaires. Le pouvoir d’achat des ménages dégringole et le panier de la ménagère devient un simple sachet. Le SMIG est le même depuis plusieurs années. La dette intérieure, cet argent dû aux agents de l’Etat, notamment, pour cause de non- paiement de leurs rappels de salaire, n’est pas toujours apurée. Dans les entreprises, les conventions collectives sont à renégocier.

Tout ceci ne contribue guère à apaiser le climat social qui en a tant besoin en cette période de transition, même si on a pu observer lors du défilé du 1er Mai 2023 dernier, assis à la tribune d’honneur, le patron des patrons du Patronat gabonais, Henri Claude Oyima et dans les rangs, les centrales syndicales représentées par les travailleurs. Une image que l’on ne verra nulle part ailleurs dans le monde.

Comme quoi, au Gabon du moment, il y a plutôt harmonie des classes sociales en lieu et place d’une lutte des classes.

 

 


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