Existe-il au Gabon contemporain des catégories sociales aux intérêts contradictoires ? La question se pose au regard de la manière dont les problèmes politiques, économiques et sociaux ont tendance à être résolus.
Tout semble être fait comme s’il y avait une uniformisation du corps social du pays. Cela a été très notoire lorsque la dernière loi fondamentale, celle actuellement en vigueur, a été élaborée et adoptée. Il s’y dégage une impression mettant en contradiction les Gabonais dits de souche et ceux qui sont issus d’une mère ou d’un père d’origine étrangère ; ceux qui sont mariés à un ou une étranger(e) ; d’autres qui sont en situation de handicap et d’autres encore qui ont eu la malchance, pourrait-on dire, d’avoir un parent ayant exercé la plus haute fonction de l’Etat.
Du coup, une fois ces derniers sont frappés d’inéligibilité aux fonctions de Chef de l’Etat, une bonne partie des problèmes du pays est réglée.
La notion « coup de libération » participe encore plus de cette confusion qui laisse, elle aussi, croire qu’une fois le pays s’était débarrassé d’Ali Bongo Ondimba à la tête de L’Etat, en laissant en place tout le système qui l’a façonné et qui a permis qu’il en arrive là, le Gabon s’est libéré. Toutes les couches sociales y trouvent leur compte.
Et par conséquent, les intérêts sont devenus les mêmes entre les femmes qui vendent à même le sol, pour survivre, dans les différents marchés de Libreville et de l’intérieur du pays; les ouvriers des sociétés des bâtiments et travaux publics, ceux de la voie ferroviaire et des transports aériens ; les vendeurs à la sauvette de l’économie informelle, ceux des différents services de nuit et de jour ; les chômeurs de plus en plus nombreux ; les populations du monde rural qui vivent dans le dénuement total ; les classes moyennes des milieux urbains et l’espèce de bourgeoisie parasitaire, politico-militaire, qui vit des miettes des rentes que lui concède le système néocolonial, laquelle mène
Quels intérêts communs il y a-t-il, du point de vue économique, financier et social, entre les Jean François Ntoutoume Emane, Jean Ping, Zacharie Myboto, Didjob Divungi Di Ding, Paulette Missambo, Jean François Ndoungou, Séraphin Moudounga, Guy Bertrand Mapangou, Charles Mba Ekome, Michel Essongué, Blaise Louembé, Angélique Ngoma, Paul Biyoghe Mba, les Généraux du CTRI , tout le reste de cette bourgeoisie parasitaire et les mamans marchandes d’à même le sol des marchés de Mont Bouet, de Nkembo, de Lalala, de Nzeng Ayong ; les vendeurs de Moutiki des mêmes marchés, les ouvriers et les techniciens supérieurs de SOCOBA LBTP, de SOACO, de SODIM TP, de SOGEA, les écailleurs de poisson du Port Môle de Libreville, les vendeuses de bouillons et les braiseuses de poisson des différentes places publiques des centres urbains ?
Pour masquer les contradictions avec le reste du corps social, cette bourgeoisie instrumentalise le fait ethnique. Complétement aliénés, n’étant pas conscients de leurs conditions sociales, les Gabonais les plus démunis, ceux-là qui se contentent de la débrouillardise, les ouvriers qui croupissent dans les bidonvilles ; dans une moindre mesure les classes moyennes et le monde rural ; tous se réfugient alors dans leurs ethnies respectives. Les partis politiques existants sont la traduction évidente d’une telle situation. Ils épousent les contours, à quelques exceptions près, de nombreuses ethnies du pays.
Les campagnes électorales, à l’instar de celle qui vient d’avoir lieu, exacerbent ces replis identitaires ethniques. Pendant ladite campagne, un candidat, Brice Clotaire Oligui Nguema, pour ne pas le nommer, a été présenté comme celui de deux ethnies, les Téké du Haut Ogooué, province natale de sa génitrice et le Woleu Ntem d’où est originaire son père. Tous les débats ont tourné autour de cette double appartenance ethnique et on se l’est disputé. On a vu de vieilles reliques de l’ordre ancien, se servir de cet argument abject et rétrograde pour battre campagne en sa faveur. Des théoriciens zélés et obscurantistes de l’ethnisme s’en sont eux aussi servis.
Dans les meetings, tout le monde est confondu. Il y en a qui arrivent en limousines et repartent dans leurs quartiers huppés, cependant que d’autres qui y vont à pieds et rentrent chez eux sous un soleil ardent, transportés tels des bœufs dans des bus affectés à leur transport.
Le colonialisme et l’impérialisme, puis le néo-colonialisme ont stratifié la société gabonaise. Y coexistent : les populations pauvres du milieu rural, elles y survivent sans revenu, pratiquant une agriculture de subsistance, la chasse et la pêche, l’économie de marché les contraint à dépendre de l’argent ; les ouvriers des principaux centres urbains, habitants des bidonvilles, où ils vivent de modiques salaires ne leur permettant pas de scolariser leurs nombreuses progénitures, de les soigner, de se soigner eux-mêmes et de s’alimenter correctement ; les classes moyennes qui tirent, elles aussi, le diable par la queue, en témoignent les récurrentes grèves des enseignants, des infirmiers, des médecins, des autres fonctionnaires de l’administration publique et même des cadres supérieurs du secteur privé ; puis il y a cette bourgeoisie politico- administrative et militaire qui, elle, comme nous l’avons déjà souligné, vit de de miette de rentes que lui concède le système néocolonial.
Jusqu’à quand va-t-on faire comme si cette stratification sociale et les contradictions qui en découlent n’existaient pas dans le pays, en ne mettant en avant rien que le fait ethnique et les intérêts parfois divergents entre les éléments d’une même strate sociale, la bourgeoisie parasitaire, politico-administrative et militaire ?
Il est évident que ceux qui ont été associés à l’exercice du pouvoir avec les Bongo, père et fils, même si certains d’entre eux sont allés se recycler et acquérir une virginité au sein de l’opposition à Ali Bongo et non au système qu’ils ont contribué à façonner, les Généraux membres du CTRI ; tout ce monde appartient à cette même strate sociale au sein de laquelle se règlent des comptes en se servant du reste des composantes sociales.