Le référendum est désormais derrière les Gabonais- même s’il va falloir y revenir un jour- et le chronogramme de fin de transition annoncé. C’est maintenat qu’il va falloir dresser des bilans. A dessein, certains s’y sont vite attelés en résumant l’histoire du Gabon aux quelques mois d’exercice du pouvoir par le CTRI. C’était, on l’aurait compris, pour éviter des débats de fond sur le contenu même de la Constitution qui vient d’être adoptée par une minorité de Gabonais.
D’autres, amnésiques de leur passé, ont tenté d’imposer que l’on ne parle que des seize (16) années de magistère d’Ali Bongo Ondimba, en faisant table rase des quarante-deux (42) ans de règne absolu de son prédécesseur de père à la tête du pays. Et pour cause, ils étaient avec et autour de ce dernier.
Toutes ces manœuvres dilatoires étaient destinées à disculper tous ceux-là qui, pendant plusieurs années, ont fait la pluie et le beau temps dans le pays et qui aujourd’hui, sont devenus des alliés inconditionnels du CTRI, des « libérateurs », des « démocrates » avec un grand « d ».
Des manœuvres peu habiles pour tenter de noyer le poisson dans l’eau, tant il est difficile d’effacer d’un coup de gomme l’histoire d’un pays !
Contrairement à ce que voudrait imposer au sein de l’opinion la nouvelle constitution, l’histoire du Gabon postcolonial date du 17 août 1960, jour de l’accession du pays à la souveraineté internationale, et non du 30 août 2023, lorsqu’a eu le coup d’Etat militaire ayant installé le CTRI aux commandes de l’Etat. Si chaque fois qu’un évènement similaire surviendrait dans le pays, il va falloir en faire une référence historique dans la constitution, il conviendrait donc d’en faire autant pour le 18 février 1964, jour du premier coup d’Etat militaire dans le pays, même si les Français étaient intervenus pour rétablir l’ordre néocolonial.
Le Gabon est donc devenu formellement un Etat indépendant le 17 août 1960. Du point de vue de la gouvernance politique essentiellement, les acteurs politiques de l’époque, dont principalement Léon Mba Minko m’Edang et Jean Hilaire Aubame Eyeghe, se rendirent compte de la difficulté de consolider cette indépendance, tout en l’accompagnant d’une œuvre de construction de la nation, la complexité pluriethnique et le sous-développement généré par des siècles de traite négrière et l’entreprise coloniale compliquant l’équation.
Ils convinrent alors de la constitution d’un « gouvernement d’union nationale » qui fit long feu, en raison de sa fragilité liée aux problèmes de leadership et surtout à l’appétence du pouvoir du premier-cité, Léon Mba Minko m’Edang. D’où ce coup d’Etat militaire du 18 février 1964. D’aucuns y ajoutent des mains extérieures invisibles.
De cette dernière date à 1968, le multipartisme hérité des colons français ne fut plus que de fait en république gabonaise, ce jusqu’à l’avènement d’Albert Bernard Bongo à la magistrature suprême, grâce à la manipulation de la constitution de l’époque par la nébuleuse FrançAfrique.
Prétextant que ce multipartisme était source de divisions ethniques et un obstacle à la construction d’une nation, ce dernier instaura alors le parti unique le 12 mars 1968, en le qualifiant de « creuset de l’unité nationale ».
Ainsi est né le concept de la « rénovation ». Certaines reliques de cette époque qui chantent aujourd’hui des louanges au CTRI en furent des chantres et des théoriciens émérites. Ils se reconnaitront. C’est vrai qu’avant de s’en aller dans l’au-delà, beaucoup ont passé le flambeau à leurs progénitures.
De 1968 à 1990, le Parti Démocratique Gabonais (le PDG) a régné sur le Gabon sans partage. Certains que l’on accuse aujourd’hui d’avoir été à l’origine des maux dont souffre le pays n’étaient même pas encore nés. D’autres n’avaient que quelques mois ou années. Cette période, longue de 22 années n’était rien d’autre, en termes de gouvernance politique d’un pays, qu’une dictature.
Il n’existait aucun espace de libertés. Tout était verrouillé. Aucun autre parti polique n’était toléré. Il en est de même d’aucun autre syndicat, en dehors de la Cosyga .Pas de presse libre et donc pas de liberté d’expression. Il eut des assassinats politiques, des exécutions sommaires pour « atteinte à la sécurité de l’Etat », de lourdes peines de prison pour délit d’opinion. Presqu’ un Etat policier.
Il est évident qu’Albert Bernard Bongo, devenu El Hadj Omar Bongo, puis Omar Bongo Ondimba, n’a pu régner ainsi tout seul. Il avait des collaborateurs et des complices. Où sont-ils passés ? D’aucuns sont décédés, cependant que d’autres vivent aujourd’hui à l’ombre du CTRI, après un court recyclage dans l’opposition à Ali Bongo Ondimba. Eux au moins ont été libérés, mais d’une opposition au sein de laquelle ils ne pouvaient plus tenir
Ceux qui ne sont plus de ce monde ont été progressivement remplacés de 1990 à 2023 par une nouvelle élite politico-administrative et militaire du pays, laquelle s’était emparée et du Parti Démocratique Gabonais et des leviers de l’Etat. Elle a joué, cette élite, un rôle important lors qu’est survenue la dévolution monarchique de 2009, laquelle a vu Ali Bongo Ondimba succéder à son géniteur, Omar Bongo Ondimba.
Elle (ladite élite) constituait ainsi, avec Ali Bongo Ondimba, l’aristocratie émergente qui entendait arrimer le Gabon à l’attelage des pays dits justement émergents en 2025. Avec la « Légion étrangère », la « bande à Laccruche » et la « Young Team », les membres de cette aristocratie émergente ont été de tous les gouvernements constitués depuis 2009, hormis quelques défections. Ils ont été complices de tous les coups d’Etat électoraux survenus dans le pays depuis cette date. Certains ont même orchestré des répressions aveugles et sanglantes, le tout avec une arrogance débile, ivresse du pouvoir obligeant. On se souvient par exemple d’un certain Jean François Ndoungou qui avait demandé à André Mba Obame, souffrant, d’aller s’acquérir d’une carte de la CNAMGS.
Où se trouve, par les temps qui courent, cette aristocratie émergente ? En bon caméléon, elle aussi est tapie à l’ombre du CTRI. Et Ali Bongo Ondimba n’est plus pour ses membres qu’un souvenir en train de se dissiper dans leur mémoire collective.
Ainsi donc, pendant plusieurs années, le Gabon a presque été pris en otage par un clan familial épaulé par des générations d’hommes et de femmes qui en ont profité pour gérer des rentes et s’enrichir au détriment d’une très large majorité de ses citoyens .Malgré la réinstauration d’une démocratie multipartite dans le pays en 1990,toute voie à même d’amener à l’alternance au sommet de l’Etat était verrouillé- il faut craindre que ce ne soit toujours le cas- Des institutions républicaines, telle la Cour constitutionnelle, ont été instrumentalisées pour servir une monarchie qui ne disait pas son nom. Les conditions dans lesquelles étaient organisées les élections politiques généraient toujours de graves crises postélectorales.
Curieusement, après le coup d’Etat militaire du 30 août 2023, ce sont les auteurs et responsables de toutes ces situations que l’on retrouve aux commandes de l’Etat, feignant d’être amnésiques de leur passé et prenant des raccourcis pour parler de l’histoire du Gabon.
Une histoire que certains datent de 2016, pour d’autres du 30 août 2023.