Des chiffres qui entretiennent l’illusion

Au lendemain du référendum du 16 novembre 2024, le journal l’ « Union », le seul quotidien national, a publié à sa « une », et en manchette : « la déferlante ».

 Effectivement, il y a eu un raz- de- marée en faveur du « OUI ».Ne pas le reconnaitre, c’est faire preuve de très mauvaise foi. Tout comme il serait malhonnête de ne pas reconnaitre qu’il n’y a eu qu’un tiers (1/3) du collège électoral gabonais qui a voté le samedi 16 novembre 2024.

Et en scrutant, même pas avec une loupe, les résultats rendus publics par le Ministère de l’Intérieur on observe, dès le premier coup d’œil, ce que les observateurs de la Mission de la Commission de l’Union européenne avaient caractérisé en 2016, et par euphémisme, « d’anomalie dans le Haut Ogooué ».

 Cette fois-ci, ces anomalies, pour ne pas dire ces incongruités et graves fraudes, n’ont pas été observées rien que dans le Haut Ogooué, mais dans bien d’autres provinces du pays où l’on a signé des procès- verbaux quatre jours avant le scrutin ; où il y a eu des bourrages d’urnes pour combler l’absence des électeurs, des procès -verbaux  avec des chiffres de suffrages exprimés supérieurs au nombre d’inscrits dans tel ou tel bureau de vote etc.

Qu’à cela ne tienne, les résultats sont là.  Le «OUI  » a triomphé, avec 91,80 0/0 contre 8,20 0/0 pour le « Non ». Une « victoire pour l’avenir et la stabilité du Gabon » clament haut et fort les partisans du « OUI ».

Cependant, replongeons dans l’histoire du Gabon pré et postcolonial et même dans celle d’autres peuples.

En 1958, Gaston Deferre, alors ministre français des colonies, élabore une loi, la fameuse « loi Deferre », ou encore « Loi cadre ». Sous pressions diverses de mouvements qui revendiquaient l’indépendance de leurs pays respectifs, et parfois avec violences, cette loi voulait créer une communauté française d’Afrique- c’est ce qu’est d’ailleurs devenue la monnaie de ces pays, à savoir le CFA, à l’origine « Colonies françaises d’Afrique- tout en gardant la mainmise sur ces pays.

 Une espèce de colonisation déguisée pour contourner les revendications indépendantes qui s’exprimaient çà et là au sein de l’empire colonial français, en Indochine, en Algérie, au Kamerun, au Niger et partout ailleurs.

 Il fallait, pour y parvenir, consulter par voie référendaire les populations concernées. Ce  référendum eut lieu, non seulement au Gabon, mais aussi dans bien d’autres colonies françaises d’Afrique.

 Au Gabon, comme partout ailleurs, le « OUI » l’emporta massivement. Plus particulièrement au Gabon, ce fut la première « déferlante ». 92,86 0/0 de l’électorat du pays optèrent pour la communauté française d’Afrique. Une écrasante victoire. Et pour cause les deux grands partis qui dominaient le paysage politique gabonais à cette époque, le BDG de Léon Mba Minko m’Edang et l’UDSG de Jean Hilaire Aubame Eyeghe en furent favorables. Seul le Parti de L’Unité Nationale Gabonaise (le PUNGA) de René Paul Souzate fit campagne pour le « Non ».

Ironie du sort, en dépit de ce vote massif pour le « OUI » à la communauté française d’Afrique, le Gabon accéda à la souveraineté internationale le 17 août 1960, ainsi que bien d’autres pays appartenant à l’empire colonial français.

 Le Vote massif pour le « OUI » fut donc vite oublié et ces pays passèrent à autre chose. Au Gabon, personne ne se souvient même plus de ce « OUI ». Dans les annales de l’histoire politique du pays, il est retenu que seul le « PUNGA » de René Paul Souzate avait eu le courage de dire « Non » à la France. Quant aux partisans du « OUI » de l’époque, leur option fut jetée dans la poubelle de l’histoire, puisque c’est finalement l’indépendance du pays qui s’est imposée, au détriment de la communauté française d’Afrique, même si le Général De gaulle avait avoué avoir « desserré les liens avant qu’ils ne rompent ».

Ailleurs, plus précisément en Guinée Conakry, c’est le « Non » de Sékou Touré, face au même Général De Gaulle, qui est resté gravé dans le marbre de l’histoire de ce pays d’Afrique de l’Ouest.

De manière circonstancielle donc, un chiffre peut entretenir une illusion, tout en ne traduisant pas une vérité. Les peuples des anciennes colonies françaises d’Afrique aspiraient à indépendance, les français ont tenté de contourner cette revendication par une parodie de référendum aux résultats connus d’avance, et l’on a prétendu qu’ils se sont massivement prononcés pour la communauté française d’Afrique .Moins de deux ans après, leurs pays respectifs accédèrent à la souveraineté internationale. Ce qui veut dire que le « OUI » ne traduisait pas leur aspiration réelle.

Après cinquante –quatre (54) ans d’un régime politique hyper- présidentialisé, avec un chef de l’Etat omniprésent, omniscient et omnipotent, lequel concentrait tous les pouvoirs dans ses mains, les Gabonais veulent d’un système garantissant la séparation et l’équilibre des pouvoirs, mettant le pays à l’abri de toute monarchisation de la fonction de chef de l’Etat.

 Une infime minorité vient de voter massivement (91,80. 0/O) pour le « Oui », c’est à dire contre  ce à quoi aspire la majorité silencieuse. Combien de temps cela va- t-il tenir ?

L’avenir le dira.

Laisser un commentaire