Les partisans du « OUI » à la nouvelle loi fondamentale proposée aux Gabonais, celle qu’ils doivent approuver par voie référendaire le 16 novembre prochain, ne savent plus quel argument inventer pour défendre l’indéfendable.
C’est presque la débandade en ordre dispersé, chacun usant de ses arguments, généralement sans lien avec ce que c’est qu’une loi fondamentale. Cela va vraiment dans tous les sens et traduit des desseins inavoués. Pas tant inavoués que cela, dans la mesure où la toile de fond est l’allégeance au CTRI doublée de l’appétit d’être maintenus autour de la mangeoire ou d’être appelés, pour ceux qui n’y sont encore.
Prenons Paul Marie Gondjout, Président d’une branche dissidente de l’Union nationale, dénommée « Union nationale initiale » (UNI), actuellement Ministre de la justice, Garde ses sceaux du gouvernement de transition. Pour justifier le « Oui » de son parti à la nouvelle constitution qui suscite tant de débats et de polémiques, cet ex-opposant à Ali Bongo Déclare : «(…) Pour avoir participé à la réflexion autour de ce projet de constitution, laissez-nous vous rassurer de ce que ce texte incarne, à travers des principes clairs et des engagements forts, notre aspiration à un avenir plus démocratique… » .
Jusque-là il ne s’agit que de sophisme, c’est-à-dire d’un discours inutilement compliqué auquel le commun des mortels des Gabonais ne peut rien comprendre. Et pour le simplifier, il ajoute : « En premier lieu il garantit l’alternance au pouvoir par la limitation des mandats ».
On a là un argument que balancent tous les partisans du « OUI » et qui ne peut séduire et convaincre rien que les plus crédules des Gabonais. Dans la plupart des pays africains, cette disposition constitutionnelle, quand bien même inscrite dans les constitutions, n’a jamais empêché un chef de l’Etat disposant d’une majorité parlementaire de la faire sauter, soit par un vote à l’Assemblée nationale, soit alors par voie référendaire. C’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, en Guinée –Conakry, au Togo des Eyadema, au Congo Brazzaville, au Tchad, pour ne citer que ces exemples.
De même, ce soit- disant verrou que d’aucuns veulent intangible n’a jamais empêché les militaires de s’emparer du pouvoir, souvent à quelques mois de la fin du deuxième mandat du chef de l’Etat en fonction. Cela est arrivé à deux reprises au Mali, avec Amani Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keita, une fois au Burkina-Faso avec Roch Marc Kabore et aussi une fois au Niger avec Mohammed Bazoum.
Cet argument ne tient donc pas la route et est contredit par l’histoire
Paul Marie Gondjout rajoute : « cette nouvelle constitution consacre l’interdiction des successions dynastiques. Elle réaffirme que le pouvoir doit émaner du peuple, sans aucun héritage de privilèges ni de monopole familial ».
Le président d’une branche dissidente de l’UN parle là de corde dans la maison d’un pendu, lorsqu’on sait que le parti politique qu’il préside aujourd’hui est justement la résultante d’une lutte au sein de l’Union nationale, laquelle opposait le Clan Myboto, qui tenait à l’imposer à la tête de ce parti pour succéder à son beau-père, Zacharie Myboto, qui venait de rendre son tablier ; à d’autres cadres et militants qui ne voulaient pas du tout de cette dévolution dynastique.
Battu aux urnes par Paulette Missambo lors d’un congrès tenu pour arbitrer démocratiquement, et après avoir reconnu sa défaite et félicité sa challenger, il n’hésita pas, par après, de claquer la porte du parti, en allant créer une branche dissidente, « l’Union nationale initiale » qu’il préside en ce moment .
Si donc l’actuel ministre de la justice, Garde des sceaux, était opposé à toute succession dynastique, pourquoi a-t-il refusé de commencer à respecter ce principe au sein de ce qui était son parti politique, l’Union nationale ?
On se rend encore plus compte du manque d’arguments de Paul Marie lorsqu’il se lance de nouveau dans un discours empreint de sophisme. Après avoir reconnu que : « la perfection n’est pas de ce monde », un aveu de l’imperfection de la nouvelle constitution, il déclare : « il est naturel que des divergences existent, car ce projet de constitution touche des valeurs, des aspirations, et des convictions variées. Mais au-delà des différences, ce texte porte une vision globale et un objectif commun : celui du développement de notre pays ».
En d’autres termes, et en français facile, la constitution proposée par le CTRI est un projet de développement du pays, et non le socle sur lequel vont reposer les nouvelles institutions républicaines, une fois restaurées.
L’on notera ici que l’ex-opposant, ministre de la justice devenu, ne dit rien de la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul individu, au mépris de la séparation des pouvoirs. Il ne fait également aucune allusion aux dispositions discriminatoires contenues dans la nouvelle constitution.
Embrouille encore plus le débat, en mélangeant les serviettes et les torchons, Laurent Angue Mezui du RPG. Ce dernier donne l’impression de ne pas savoir de quoi parle-t-il.
Il demande aux Gabonais d’approuver et d’adopter très largement le projet de la nouvelle constitution qui, selon lui, cadre avec les batailles politiques livrées par le RPG, en particulier par son fondateur, Paul Mba Abessole. On découvre ainsi que son parti, lequel est un des avatars du Morena crée en 1981 par Simon Oyono Aba’a, Jean Baptiste Obiang Etoughe, Jules Mba Bekale, Moubamba Nziengui, Luc Bengono Nsi et bien d’autres, ce pour revendiquer le retour à une démocratie multipartite au Gabon ; les Gabonais découvrent disions-nous, avec Laurent Angue Mezui, que les batailles politiques livrées par le RPG avaient pour objectif : instaurer un régime présidentiel au Gabon, en concentrant tous les pouvoirs dans les mains du seul chef de l’Etat, sans garde-fous, sans contrôle par le Parlement qu’il peut d’ailleurs dissoudre à tout moment. Un régime qui fait en même temps du chef de l’exécutif le chef du gouvernement, président du Conseil supérieur de la magistrature, chef suprême des armées .Presqu’un monarque qui ne dit pas son nom. C’était donc cela, le sens et la quintessence des luttes livrées par le RPG.
Les Gabonais découvrent également, toujours avec Laurent Angue Mezui, que le RPG livrait des batailles politiques, pour que les citoyens gabonais soient catégorisés et classés en fonction des origines de l’un de leurs géniteurs, de leur lieu de naissance ou de résidence -avec ce critère Paul Mba Abessole n’aurait jamais été candidat à l’élection présidentielle de 1993-, de leur statut matrimonial, de leur situation de handicap.
Toujours selon Laurent Angue Mezui, la « reconnaissance de Dieu- dans la constitution d’ une république laïque- et des ancêtres, la protection du patrimoine naturel et immatériel, le service militaire obligatoire, l’institutionnalisation d’un régime présidentiel afin d’agir directement sur les leviers de développement ainsi que ceux de la gouvernance » ; tout ceci constitue pour lui des avancées démocratiques.
Ne peut-on pas se demander ici pourquoi le RPG se réclamait-il de l’opposition, puisqu’à quelque chose près, toutes ces dispositions faisaient partie des constitutions précédentes ?
Venons-en à Edmond Okemvele Nkogho, le vice- président de « Gabon d’Abord » qui se réclame de la société civile. Il disait avoir fait le tour de la planète, rencontré les sommités du monde, à la quête d’un modèle de système politique qui conviendrait au Gabon, étant donné que le système francophone dont s’étaient inspirés la plupart des colonies françaises d’Afrique, avait montré ses limites. De ce périple, il a ramené un modèle qu’il a décrit dans un ouvrage qui a fait grand écho. Pour lui, la démocratie parlementaire était le meilleur choix et la Norvège qu’il présentait comme « un paradis sur terre » l’exemple.
Aujourd’hui, il trouve toutes les vertus au modèle proposé par les militaires. Tout en se gardant d’entrer dans le fond et de donner son avis sur les dispositions qui suscitent débats et polémiques, il soutient que c’est ce modèle qui conviendrait au Gabon, parce qu’il est « le reflet de la participation des Gabonais eux-mêmes, contrairement à toutes les précédentes ». Comme si les constitutions de la sphère francophone, notamment celle de France, qu’il critiquait, n’étaient pas le reflet de la participation et des aspirations des peuples qui les avaient adoptées.
Embarrassé à adopter une position claire, il demande aux Gabonais de se poser un certain nombre de questions auxquelles il ne répond pas lui-même. Et tout le monde aurait compris son embarras.