Le paysage politique gabonais se recompose. Deux importants pôles cristallisent. Le coup d’Etat militaire du 30 août 2023 a été l’élément déclencheur et le Palais présidentiel du bord de mer de Libreville l’épicentre. Ce coup d’Etat militaire a accéléré une décantation des forces politiques du pays amorcée depuis 1990, celle de la tenue d’une Conférence nationale ayant rassemblé plusieurs forces vives gabonaises. Les évènements mondiaux de l’époque ont forcé pour qu’ait lieu cette grande messe politique nationale, la première ayant inauguré tout un cycle, dont le dernier Dialogue national inclusif- exclusif n’aurait été qu’un épisode. Et certainement pas le dernier.
Depuis lors, c’est-à-dire depuis 1990, il était difficile de tracer une ligne de démarcation, en d’autres termes une frontière nette, entre les forces qui détenaient le pouvoir d’Etat et d’autres qui se réclamaient de l’opposition. Au-delà des animosités et des rancœurs personnelles, cela était bien difficile, tellement cette frontière, si tant qu’il en existait une, était artificielle et poreuse. On passait d’un pôle à un autre au gré des appétits, des ambitions, et de l’appât du gain. Les transhumances politiques étaient le jeu favori. Même la plupart des acteurs de la société civile s’y prêtaient, tout en faisant semblant de militer pour des causes nobles. Marc Ona Essangui ne vient-il pas de faire la preuve qu’il n’était qu’un fieffé tribaliste et opportuniste arborant jusqu’alors le masque d’un défenseur de l’environnement.
La notion qui était à la bouche des uns et des autres, notamment de celles qui se voulaient des opposants, fut celle du « changement ». Elle était scandée et reprise en chœur lors des grands meetings populaires des années 90, ceux du Fuapo, de la COD, du l’UFC (Union des Forces du changement), de l’AFA (l’Union des Forces de l’Alternance) du FOPA.
Le Changement était donc le mot qui revenait souvent, sans pour autant en livrer le contenu. Et dès 2009, ce mot, ou ce concept, est devenu synonyme de départ d’Ali Bongo Ondimba du pouvoir. Exclusivement cela, sans plus. Beaucoup d’acteurs politiques qui furent avec et autour de son prédécesseur de père au sommet de l’Etat gabonais lui en voulurent pour des raisons diverses. Pour la plupart d’entre eux, ils ne le pardonnèrent de leur avoir retiré le « biberon » de la bouche. Raison principale pour laquelle ils avaient décidé d’aller se recycler dans l’opposition.
Une bonne partie s’était déjà ralliée à André Mba Obame en 2009. D’autres ont plié bagages entre 2009 et 2016 et sont allés, eux-aussi, grossir les rangs de la même opposition, notamment autour de Jean Ping. Qui en fut le chef de file pendant cette période ; Radicalisés après les dramatiques évènements d’août 2016, ils sont alors devenus viscéralement dans anti- Ali sans concession. Beaucoup n’entendaient même plus un jour lui serrer la main, cette dernière portant les traces de sang des victimes desdits évènements. Ironie du sort, plusieurs ont aujourd’hui rallié et mangent à la même table que ceux-là qui sont censés avoir fait couler ce sang.
Qu’à cela ne tienne. Toujours est-il que le coup d’Etat militaire du 30 août 2023 et la période de transition qui s’en suit, puisque on y est toujours, permettent enfin de jeter un regard beaucoup plus clair sur le paysage politique et social gabonais pour découvrir, sans en être d’ailleurs surpris, qu’il y cohabitent des opportunistes de tout poil, sans convictions aucune, sans scrupules, rétrogrades, obscurantistes, et micro- nationalistes. Généralement des gens nés avant la honte, des adeptes de l’ethnisme, du tribalisme et du clanisme ; des personnes capables de se renier en faisant fi de ce qu’ils sont eux-mêmes, génétiquement et physiquement, et d’hypothéquer la vie de leurs enfants et leurs petits leurs petits- enfants. L’essentiel pour eux étant de s’offrir une petite place au soleil.
De la démocratie, de l’Etat droit, des libertés fondamentales, et de l’organisation des élections dans des conditions transparentes et crédibles, ces valeurs et principes qu’ils prétendaient défendre quand ils se réclamaient encore de l’opposition, ils s’en moquent aujourd’hui éperdument. La preuve, ils n’exigent plus de personne, ni des autorités de la Transition, ni de la communauté internationale, la réouverture du dossier des évènements du 31 août 2016, pour que la vérité jaillisse enfin et les responsabilités établies. Pourquoi cette exigence n’est plus aujourd’hui d’actualité, puisque ceux qui étaient accusés de masquer les faits et d’empêcher toute éclosion de la vérité sont censés avoir été déchus du pouvoir et que le pays est désormais « libéré » ?
Ce sont toutes ces personnes qui se sont agglutinées dans le pôle qui soutient la version définitive de la nouvelle constitution de la République gabonaise, mues exclusivement par leurs mesquins et égoïstes intérêts ; lesquels déplacent le débat du champ constitutionnel à celui des querelles de personnes, quand ils ne brandissent pas le bilan des 14 mois d’exercice du pouvoir par les militaires, en le comparant aux 14 années passées par Ali Bongo Ondimba aux commandes de l’Etat.
A l’opposé, se rassemblent et tentent de créer un autre pôle, lequel commence d’ailleurs à être beaucoup plus audible, des démocrates attachés aux valeurs de la république à la consolidation d’un Etat de droit dans le pays, au-delà des clivages ethniques et régionalistes, à l’unité et la cohésion nationale ; lesquels s’opposent à toute dérive autoritaire qui pourrait faire du Gabon, comme cela était déjà le cas, une monarchie de fait, et aussi à toute discrimination, quelle qu’elle soit, qui cloisonnerait les citoyens d’un même pays, devant avoir les mêmes droits et devoirs, en les catégorisant et en les classant dans des tiroirs selon les origines de leur parents, la durée de résidence à l’étranger, leur âge, leur statut matrimonial, leur situation de handicap etc.
Tels sont les deux pôles qui se dessinent et qui cristallisent. Et l’on saura désormais qui s’oppose à quoi et à qui.