Pleins projecteurs sur le nouveau paysage politique gabonais

Après une longue période d’immobilisme entre 1964 et 1990, le moins que l’on puisse dire est que le paysage politique gabonais est depuis lors en perpétuel mouvement, même si la nature des forces à l’origine d’une telle dynamique est la même. Des forces appartenant à une même bourgeoisie, qualifiée jadis de compradore, en sont le moteur. Lesquelles  forces ne remettent jamais en cause l’ordre voulu et mis en place par l’ancienne puissance colonisatrice, la France, au moment de la décolonisation.

 C’est en cela que cette bourgeoisie est qualifiée de compradore, parce que parasitaire, vivant des miettes que lui concède le système d’exploitation néocolonial. Des miettes  permettant aux femmes et hommes qui la composent de mener un train de vie ostentatoire et presqu’insolent, dans des quartiers huppés de Libreville, de garnir leurs comptes bancaires dans des paradis fiscaux, de solariser leurs progénitures et de se faire soigner à l’étranger. En quelques mots, de vivre largement au-dessus de la mêlée.

Cependant, cette bourgeoisie n’est pas pour autant homogène. S’expriment souvent en son sein des points de vue divergents et les intérêts de ceux qui la composent peuvent parfois s’opposer et déboucher sur des situations à l’instar du coup d’Etat militaire du 18 février 1964.

 Le dernier coup d’Etat militaire, celui du 30 août 2023, perpétré essentiellement par la Garde républicaine, en est encore une parfaite illustration. Ces évènements, redisons-le, traduisent des dissensions, des divergences, voire des contradictions entre des éléments d’une même bourgeoisie aux commandes de l’Eta-nation gabonais depuis la proclamation de l’indépendance du pays le 17 août 1960.

Si en 1964, les divergences entre le premier chef de l’Etat gabonais, Léon Mba Minko m’Edang et ses adversaires, tenaient de la conception que ce dernier avait de la gouvernance d’un Etat, aujourd’hui, doit-on le regretter, seuls le contrôle et la gestion des rentes divise.

 Léon Mba Minko m’Edang avait une conception très verticale et autoritaire de la gouvernance politique d’un Etat, cependant que ses adversaires, dont principalement Jean Hilaire Aubame Eyeghe, parlementaire de la 4ème  République française, étaient beaucoup plus pour un parlementarisme qui équilibrait les pouvoirs.

 Ce sont, entre autres, ces deux visions de la gouvernance politique d’un Etat qui ont engendré le coup d’Etat militaire du 18 février 1964. Et la France néocoloniale est venue rétablir l’ordre voulu et imposé par elle.

 Un ordre qui a été renforcé en 1968 par la création d’un parti unique dans le pays, le Parti Démocratique Gabonais. Presque toutes les forces de la bourgeoisie néocoloniale et compradore s’y sont retrouvées. A quelques exceptions près. Et parmi ces forces, certaines étaient plus conservatrices, antidémocratiques et rétrogrades que d’autres.

Les soubresauts du début des années 9O, avec la bourrasque venue de l’Est-européen, ont engendré une première décantation des forces, laquelle décantation a ayant séparé ce que l’on pourrait qualifier de bon grain de l’ivraie. Laquelle ivraie qui, aux côtés d’Omar Bongo Ondimba, ne voulait pas du tout entendre de démocratie et de multipartisme dans le pays, sous prétexte fallacieux selon lequel cela déboucherait sur des affrontements inter-ethniques. Ce qui a été formellement démenti par la réinstauration de la démocratie multipartite à l’issue de la Conférence nationale de mars –avril 1990.

Bien malheureusement, cette réinstauration de la démocratie multipartite n’est pas allée de pair avec l’alternance au sommet de l’Etat. Des forces plus conservatrices et rétrogrades s’en étant chaque fois opposées, en perpétrant des coups de forces électoraux, aidées en cela par les forces de défense et de sécurité, dont principalement la Garde républicaine. Une garde jadis dénommée Garde présidentielle, montée de toutes pièces pour protéger le pouvoir de la famille Bongo.

D’un coup de force électoral à un autre, dans un déni total de démocratie, l’on est fatalement parvenu aux évènements du 30 août 2023. Le protecteur s’est retourné contre le protégé et le «  monstre » a semblé avoir dévoré celui qui l’a fabriqué.

 Plus d’un an après, tout donne l’impression que tel n’a pas été le cas. Le fabricant est toujours là, paradoxalement plus renforcé que ces quatorze dernières années. Il a opéré une mue tel que d’aucuns ont cru à l’apparition de quelqu’un d’autre sur la scène politique nationale. Et cela a donné lieu à des youyous  et des ouraaaah. Vive le « coup de la libération », s’est – on  écrié, à gorge déployée.

 Quel est aujourd’hui l’état des lieux ? Le paysage politique gabonais est en pleine recomposition. Des forces qui étaient artificiellement éloignées pour des raisons diverses se rapprochent. Des lignes de démarcation et des frontières se dessinent.

  Avec une telle recomposition qui s’accélère ces derniers temps, alliance s’est ainsi tissée entre les militaires, la vieille garde du Parti Démocratique Gabonais- englobant celles et ceux qui étaient allés se recycler dans l’opposition- et les religieux.

 C’est cette alliance, manifestement conservatrice, qui a accouché du projet de constitution actuellement querellé. Un projet de constitution qui porte les germes d’une monarchisation de la fonction de président de la  république, monarchie, militaires et religion s’étant souvent associés pour faire bon ménage dans l’histoire des sociétés humaines.

 La même alliance conservatrice n’a pas hésité d’instaurer dans le même projet des dispositions discriminatoires qui cloisonnent les citoyens Gabonais en catégories selon qu’ils aient un père ou une mère d’origine étrangère, qu’ils aient une double nationalité ; qu’ils aient un époux ou une épouse d’origine étrangère ; qu’ils soient en situation de handicap ; qu’ils aient moins de 35 ans ou plus de 70 ans. Presque de l’apartheid, tel que l’ont vécu les noirs d’Afrique du Sud, avec des gouvernements civils protégés par des militaires et inspirés par des religieux qui prétendaient que le Dieu de la Bible avait maudit Cham, descendant de Noé, ancêtre de la race noire, pour s’être moqué de la nudité de son père

Face à cette alliance conservatrice, émergent des forces plus démocratiques et progressistes ; Ce sont elles qui se dressent aujourd’hui contre un tel projet mortifère et donc excessivement dangereux pour le pays, quand on sait les dégâts causés dans d’autres pays africains par de telles approches d’organisation de la société et de gouvernance d’un Etat dont la fragilité du tissu social et de l’unité nationale ne sont plus à démontrer.

Laisser un commentaire