Etat-nation et nouvelle Constitution

Le Gabon est devenu formellement un Etat indépendant depuis le 17 août 1960. Il est important de le rappeler. Dès cette date, la mise en place des institutions républicaines (Président de la république, Gouvernement  et autres institutions constitutionnelles) en fit un Etat souverain.

 Cependant il s’agissait, et c’est toujours le cas, d’un Etat- nation, les institutions étatiques ayant précédé la construction d’une nation. Ce qui voudrait dire que cette  nation gabonaise est encore et toujours  en gestation et l’édifice mis en place fragile.

 Une fragilité liée en grande partie à la pluralité et à la diversité des ethnies. Pas tant que ces multiples et diverses ethnies en constituent un obstacle majeur, mais plutôt parce qu’au lieu d’en faire une richesse , un élément constitutif du socle de l’édifice à construire, tout en tenant compte de la stratification et de la nouvelle configuration de la société gabonaise découlant du mode de production colonial, puis néocolonial, d’aucuns ont plutôt tendance à considérer ces ethnies comme des instruments de conquête et de conservation du pouvoir politique.

Du coup, pendant plusieurs années, le débat politique gabonais tourne autour des ethnies, non pas en tant l’un des éléments du socle à partir duquel doit se bâtir l’édifice-Gabon, mais comme instrument de politique politicienne, ce qui ne peut que  contribuer à rendre de plus en plus fragile ce socle.

 Repli identitaire ethnique, stigmatisation de certaines communautés ethnolinguistiques, chasse aux sorcières pour délit de faciès ethnique, le sentiment d’appartenir d’abord à son ethnie, avant de se réclamer d’une nation, autant de pratiques, de discriminations et de frustrations qui mettent à mal l’unité d’une jeune nation en gestation et la cohésion sociale.

Tenant compte de cette pluralité et de cette diversité ethniques, les pères –fondateurs de ce qui doit devenir la nation gabonaise, très inspirés, avaient choisi comme titre de l’hymne national : la « Concorde », en l’accompagnant de cette devise « Union-Travail- Justice. Ce qui voulait dire que les Gabonais devaient vivre dans la «  concorde », et dans l’union, le travail et la justice.

 Se sont-ils trompés, ces pères –fondateurs de l’Etat-nation gabonais? Peut- être que l’actualité du moment, celle relative à l’élaboration , puis à l’adoption d’une nouvelle constitution de la république gabonaise, est en train de les désavouer, avec les dispositions discriminatoires proposées, lesquelles risquent de fragiliser de plus en plus le tissu social du pays, pour que la concorde ne soit qu’un vain mot, l’union et la justice de simples vues de l’esprit. Des illusions.

Toujours pour faire face à cette complexité pluriethnique et tenter de trouver, en sa manière, une solution, Albert Bernard Bongo  devenu chef de l’Etat, grâce une disposition constitutionnelle qui l’autorisait, à la suite du décès du Président Léon Mba Minko m’Edang, décida  d’imposer en 1968 le parti unique en faisant du Parti démocratique qu’il venait de créer un Parti-Etat, qu’il qualifia de « creuset de l’unité nationale ». Et cela a donné les résultats que nous connaissons tous aujourd’hui. Au lieu d’être ce « creuset de l’unité nationale », le PDG est plutôt devenu la propriété d’un clan familial qui s’en est servi pour instaurer ce qui s’apparentait à une monarchie au Gabon. Jusqu’au 30 août 2023 dernier, toute possibilité d’alternance au sommet de l’Etat fut verrouillée et les institutions républicaines ont longtemps été instrumentalisées pour servir et faire perdurer cette monarchie de fait.

La pratique de la géopolitique, toujours instaurée par Omar Bongo Ondimba , un savant dosage de partage des pouvoirs entre les élites des différentes communautés ethnolinguistiques du pays fut une autre réponse à cette réalité de construire une nation gabonaise, toujours au regard  de la même complexité pluriethnique.

En dépit donc de toutes ces tentatives de sortir de l’Etat-nation, ce dernier demeure une réalité politique et sociologique au Gabon. Une réalité rattrapée par le retour à la démocratie multipartite dans le pays en 1990, à la suite d’une Conférence nationale non souveraine. Une démocratie multipartite qui donne l’impression d’avoir freiné l’œuvre de construction nationale, en générant une floraison de partis politiques qui essaiment le paysage politique du pays, épousant très souvent des contours géo-ethniques. Ce qui ne veut dire qu’il faille les dissoudre, mais plutôt les inciter à se regrouper selon les affinités idéologiques. Si tant est qu’ils en ont, ces idéologies.

 Et on était là, lorsque sont survenus les évènements de la nuit du 30 août 2023. Et d’aucuns ont pensé ces évènements allaient permettre de poser les fondements d’un nouvel Etat et de bâtir enfin un en édifice en transformant l’Etat-nation en nation à partir d’un regard critique vers le passé.

Apparemment tel ne semble pas être le cas, en écoutant tout ce qui se dit et semble aujourd’hui se décider à propos de la nouvelle Constitution en cours d’élaboration, laquelle sera soumise au vote du peuple souverain. Parce que dans une monarchie, c’est le monarque qui est souverain et dans une république comme le Gabon, c’est effectivement ce peuple qui est souverain.

Les inquiétudes, si l’on veut les appréhensions, sont fondées sur le fait que dans la nouvelle mouture de la nouvelle loi fondamentale en discussion, non seulement il n’est pas reconnu le caractère multiethnique de l’Etat-nation gabonais, mais aussi il est violé le principe de l’indivisibilité de la nation en gestation, dans la mesure où il est créé des sous-Gabonais, ou des Gabonais de seconde zone, avec les critères discriminatoires, tant aujourd’hui décriées, d’éligibilité aux hautes fonctions de l’Etat.

 Et à propos de ces discriminations, la toute première loi fondamentale de la République gabonaise, celle avec laquelle le pays accède à la souveraineté internationale était pourtant claire là-dessus : tous ceux qui vivaient en territoire gabonais à cette époque faisaient partie de la nation gabonaise. Et sur ce territoire, seule la nationalité gabonaise prévalait, même si d’aucuns pouvaient jouir d’autres. La plupart des hauts commis de l’Etat gabonais, y compris ceux-là qui entourent le Président de la République, Président de la Transition, chef de l’Etat ; ainsi que plusieurs membres du gouvernement de transition, tous ceux-là n’ont-ils pas la double nationalité, gabonaise et française ?  N’occupent-ils pas des postes stratégiques et sensibles au cœur même de l’appareil de l’Etat : ministres  de l’économie, du budget, de la communication, de l’éducation nationale,  nous en passons ?

C’est donc dire à quel point si ces dispositions discriminatoires sont maintenues dans la nouvelle loi fondamentale, elles vont toucher un pilier de la République qu’est la nation et compromettre l’avenir du pays. Les cas de la Côte d’Ivoire, du Rwanda du Burundi, de l’Ethiopie, des deux Soudan, du Nigéria ne peuvent constituer de bonnes inspirations, des exemples à suivre, lorsqu’on sait qu’à cause de la complexité pluriethnique de ces pays et des conflits que cela a engendrés, en raison d’un certain nombre de décisions discriminatoires, on y a compté des milliers et des milliers de morts, de populations errant baluchons sur leurs têtes, à la recherche d’hypothétiques refuges dans des camps d’une misère inqualifiables, presque l’enfer.

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