Les universitaires ont toujours cette malformation de se croire dans un amphithéâtre et donner des leçons magistrales, même lorsqu’il faut aborder des problématiques simples, liés à la vie quotidienne. Des problématiques qui nécessitent qui l’on parte du vécu et non des formules non encore expérimentées des laboratoires de recherche.
Les autodidactes excellent encore plus en la matière. Lorsque l’occasion leur est donnée, ils en profitent souvent pour faire étalage des connaissances universitaires acquises, histoire de faire la démonstration qu’ils possèdent déjà, eux-aussi, le savoir universel, qu’ils maîtrisent la science universitaire.
Alliant sophisme et mystification, ils croient éclairer la lanterne, sans véritablement aborder les problématiques dans leur profiteur. Et finalement ils n’en apportent aucune solution, laissant ainsi tout le monde sur sa faim.
C’est ce qu’a fait Séraphin Moudounga devant les deux chambres lorsqu’il a été invité à apporter son éclairage et à donner ses avis sur la révision constitutionnelle, en sa qualité de Président d’une institution constitutionnelle, le Conseil économique, social et environnemental de Transition.
Ceux qui l’ont écouté ont eu l’impression d’une exégèse des modèles politiques tels qu’il en existe dans le monde. Presque la soutenance d’une thèse de doctorat. Les définitions s’alignaient, les références à de grands penseurs en matière de droit constitutionnel étaient au menu. Le passage en revue des systèmes politiques pratiqués dans le monde enrichissait l’exposé, avec l’accent mis sur les modèles français, les descendants de nos ancêtres les Gaulois ayant autrefois pratiqué le parlementarisme, avant de recourir au système présidentialiste ou semi – parlementaire ou encore semi- présidentiel, toujours en vigueur dans l’Hexagone. Et enfin de comptes, son penchant aurait été pour le maintien d’un régime semi –présidentiel ou semi- parlementaire ou encore présidentialiste. Certainement, parce que ce dernier offre beaucoup plus de parts de gâteau.
Abordons de nouveau ce sujet qui préoccupe et qui est plus que d’actualité en ce moment en terre gabonaise : le choix d’un nouveau système politiques dans le pays, celui qui le mettrait à l’abri de toute dérive autocratique et qui en ferait un Etat de droit démocratique moderne, où les citoyens jouiraient de tous leurs droits fondamentaux. Un vaccin contre des crises politiques majeures.
La Constitution de 1991, celle qui consacra le retour à une démocratie multipartite au Gabon, est devenue une référence pour tous, dans la mesure où, effectivement elle réinstaurait le multipartisme dans le pays après vingt-deux(22) années de parti unique ; mais aussi en raison du fait que nul ne pouvait faire plus de deux mandats successifs à la tête de l’Etat et que l’élection présidentielle était à deux tours de scrutin.
Des verrous que feu Omar Bongo avait fait vite sauter, avec la complicité de ceux qui sont devenus des opposants au régime de son fils, Ali Bongo Ondimba.
Ce ne fut, faut-il le souligner, que du copié-collé de la Constitution de la 5ème République française, celle qui avait été taillée aux mesures du Général De Gaulle, du moins avait cru le constituant français, puisque par la suite, d’autres chefs de l’Etat s’en sont servis, Georges Pompidou, Valery Giscard D’Estaing, François Mitterrand – qui l’avait qualifié de « Coup d’Etat permanent »- Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, et depuis 10 ans Emmanuel Macron. Il n’y avait aucune originalité tenant compte des spécificités de la société gabonaise, de son histoire, de son niveau de développement, de ses contradictions internes. Ce ne fut qu’un mimétisme aveugle, sans recul et sans discernement.
En débit de l’enveloppe démocratique qui couvre un tel système et du partage du pouvoir qui le sous-tend, il fait jouer au chef de l’Etat le rôle d’un monarque qui ne dit pas son nom. Il s’agit d’un système politique combinant les mécanismes des régimes parlementaire et présidentiel, quand bien même le chef de l’Etat, en tant qu’institution, est placé au-dessus de toutes les autres.
Par paresse intellectuelle donc, c’est cette Constitution que ceux qui étaient chargés de rédiger celle du Gabon de 1991 ont mimé à la virgule près, du premier mot du préambule à l’ultime phrase du dernier article.
Et au fil du temps, Omar Bongo Ondimba l’a de plus en plus tropicalisée, en renforçant ses prérogatives, devenant ainsi un chef de l’Etat omniprésent, omniscient et omnipotent, le tout s’accompagnant d’un culte abject et indécent de la personnalité.
Cette suprématie du chef de l’Etat sur les autres institutions de la République violait allègrement tout principe de la séparation des pouvoirs et avait conduit inexorablement à une dérive autoritaire, voire à une monarchisation de la vie politique du pays, dans la mesure où ce dernier(le Président de la République) pouvait dissoudre l’Assemblée nationale et présidait l’autorité judiciaire qu’est le Conseil supérieur de la magistrature. Il était, comme dans toute dictature, le « guide éclairé », le « grand timonier », l’homme infaillible. D’aucuns, à l’époque d’Omar Bongo Ondimba, ne s’exprimaient et n’agissaient rien que sous «sa « très haute inspiration » et « sous ses très hautes instructions ».
Les voilà, les problèmes que toute nouvelle constitution destinée à arrimer le Gabon à l’attelage des démocraties modernes, en l’adaptant aux réalités gabonaises et en puisant dans les propres valeurs culturelles du pays ainsi que dans les modèles anciens d’organisation sociale, doit résoudre.
Il ne s’agit donc pas de faire de l’intellectualisme, mais de proposer un schéma qui aura l’assentiment d’une majorité de citoyens Gabonais et en lequel ils se reconnaitraient.
Apparemment, ceux qui ont élaboré le projet actuellement soumis au débat n’ont pas tenu compte du vécu du passé .Du coup, le schéma proposé est celui d’une hypercentralisation de tous les pouvoirs dans les mains d’un seul individu, le Président de la République.
Un tel système, ils le veulent présidentiel, avec un exécutif mono-céphale, sans garde-fous. Le Président de la République étant secondé de deux vice- présidents, un de la république et l’autre du gouvernement, lesquels ne seront là rien que pour meubler le décor et alourdir le train de vie de l’Etat. En tant que meubles, il pourrait s’en débarrasser et se doter d’autres, quand il le juge nécessaire pour son pouvoir personnel.
Est-ce d’un tel système dont a besoin aujourd’hui le pays ? N’a-t-il pas besoin d’un système qui consacre l’équilibre des pouvoirs et non la suprématie d’un seul ? Une Assemblée nationale qui ne peut être dissoute par le Président et un Conseil supérieur de la magistrature présidé par un Haut magistrat élu par ses pairs ne garantissent-ils pas cet équilibre des pouvoirs ?
Puiser dans les valeurs culturelles du pays n’est-il pas synonyme de partage du pouvoir, avec un vice-président élu en même temps que le Président ? Ce qui réglerait constitutionnellement la problématique de la succession au sommet de l’Etat, en cas de vacance définitive du pouvoir, le vice- président accédant directement à la magistrature suprême sans avoir besoin d’organiser une autre élection présidentielle .Cela n’ aurait-il également l’avantage de détribaliser le débat politique national en le sortant de ses ghettos ethniques, le vice-président pressenti ne pouvant être choisi au sein de la même ethnie que celle du président ?
Bien malheureusement, tous les aspects qui faisaient du régime déchu une autocratie et non une démocratie, voire une monarchie, ont même été renforcés dans le projet actuellement en débat.
Et cela s’appelle « restauration de l’autocratie », en y instaurer de fortes doses de discrimination selon les origines et les statuts matrimonial et patrimonial des uns et des autres.