Un  danger plane sur le Gabon

Il est des temps et des mouvements de pensée qui, plus que d’autres, sont porteurs d’espoir ou alors de danger. Il est ainsi incontestable que le vent qui souffle actuellement au Gabon correspond à un moment historique d’attente tout à fait exceptionnel pour lequel le peuple, longtemps sevré de démocratie, attendait de se libérer des chaines d’un système politique qui n’avait que trop durer et qui l’avait privé presque de tout.

Dans la nuit du 30 août 2023, un mouvement de pensée a justement germé de la tête des militaires gabonais, celui de la restauration des institutions de la République. Une période exceptionnelle a été ouverte, la Transition.

 S’y étaient-ils préparés ou s’agit-il d’une pensée subite engendrant un mouvement spontané, le coup d’Etat ? Les avis sont partagés.

 Toujours est-il que les tâtonnements observés après, dissolution de la plupart des institutions qui étaient en place (gouvernement, Assemblée nationale, Sénat, Cour constitutionnelle), puis leur reconduction quelques jours après, même en leur collant l’étiquette « transitoire » ; tout ceci milite à la faveur d’une impréparation. La révision, à plusieurs reprises, de la Charte de la Transition le montre également.

Durant les moments de la longue attente d’un « Gabon nouveau », comme le disent certains, tout donne aujourd’hui l’impression que ces derniers avaient besoin d’un homme providentiel. D’où la notion de « messie » dont ils usent pour parler de Brice Clotaire Oligui Nguema. Et entre « Moise » et « Josué » de la Bible judéo-chrétienne, ils ont du mal à trancher.

 Il n’y a là rien de nouveau ou d’inconnu. Les doctrines d’apparitions divines sont universelles, puisque toutes les religions, monothéistes notamment, ont été fondées sur l’incarnation d’un tel sauveur. Jésus-Christ pour les chrétiens, le prophète Mahomet pour les musulmans, Krishna pour la religion indoue par exemple, laquelle religion indoue stipule dans la « Bhagavad-Gîta »,  justement à travers les paroles prêtées au seigneur Krishna : « chaque fois que le dharma s’efface et que monte l’injustice, alors je prends naissance pour la libération des bons, pour la destruction de ceux qui font le mal, pour mettre sur le trône la justice. Je prends naissance d’âge en âge ».

Seulement voilà, tout ceci repose sur le dogme, c’est-à-dire sur des principes pour lesquels aucune discussion, aucun débat ne sont permis. Au sauveur, on peut faire dire n’importe quoi et faire n’importe quoi en son nom. Et les notions de « bon » et « mal », ainsi que celle de « justice » deviennent subjectives. D’où les guerres de religion. Les chrétiens en ont livré aux païens, aux hérétiques, et même aux musulmans ; ces derniers combattent jusqu’à ce jour les mécréants, les infidèles, les impies.

Certaines dispositions de la Constitution de la république gabonaise en cours d’élaboration entrent dans cette logique de faire dire et de faire n’importe quoi au nom du « messie ». Comme si d’aucuns enviaient le cas de la Côte d’ivoire où le concept de « l’ivoirité » a fait d’énormes dégâts et laissé des plaies béantes qui tardent jusqu’à ce jour à cicatriser, certains Gabonais se veulent des adeptes d’une certaine « gabonité ».

 Au nom d’un ultranationalisme qui n’a rien à envier aux thèses néonazies, racistes et xénophobes des mouvements et partis d’extrême droite européens, ils voudraient que la nouvelle loi fondamentale de la République gabonaise mette en avant un tel concept abject, rétrograde et obscurantiste. .

 Se prenant pour des « bons », ils pointent un doigt inquisiteur en direction de ceux qu’ils estiment être des auteurs du mal, pour « mettre au trône la justice » : les Gabonais(es) né(es)s d’un père ou d’une mère d’origine étrangère ; les binationaux, les Gabonais(es) marié(es) un ou une femme d’origine étrangère.

Un véritable danger pour l’unité nationale et la cohésion sociale. Les parlementaires de la Transition réunis en ce moment au sein d’une Constituante vont-ils céder à cette tentative de faire du Gabon un pays où cohabitent plusieurs catégories de citoyens classés en fonction de leurs origines ? Il y a de quoi le craindre.

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