Le « coup de libération », ainsi qualifie-t-on les évènements survenus au Gabon dans la nuit du 30 août 2023. Une manière, pour certains, de ne pas désigner le chat par son nom. En d’autres termes pour ne pas parler de coup d’Etat militaire, quand bien même ce dernier se justifiait
Dans certains pays d’Afrique sous domination coloniale, sont nés des mouvements de libération nationale. Le but fut de renverser, généralement grâce à des insurrections armées, l’ordre colonial établi depuis des siècles. Il en fut ainsi de l’Algérie, sous domination coloniale française, de l’Angola, du Mozambique, de Guinée Bissau et du Cap Vert et de Sao Tomé et Principes, sous le joug colonial portugais. Il en fut de même de la Rhodésie devenue le Zimbabwe et de L’Afrique du sud dominés par des Blancs racistes et ségrégationnistes qui y avaient établi des colonies de peuplement, après avoir dépossédé les populations noires autochtones de leurs terres, de leurs mines, de leurs forêts et de bien d’autres richesses.
Organisées dans des mouvements de libération nationale, avec des branches politiques et militaires, ces populations noires autochtones furent donc contraintes d’engager des luttes armées pour se libérer. Ce ne fut pas en une nuit ou en quelques heures. Il a fallu des années d’abnégation, de témérité et d’énormes sacrifices pour en arriver là. Ces pays sont aujourd’hui ceux pour lesquels nul ne peut parler de néocolonialisme. Ils sont très jaloux de leurs indépendances et de leurs souverainetés
Les choses se sont passées autrement au sein de l’empire colonial français, excepté l’Algérie. Acculée en Indochine par des mouvements de libération constitués dans cette région d’Asie par des nationalistes qui entendaient, eux aussi s’affranchir, les armes à la main de l’ordre colonial. Ebranlé dans certains pays d’Afrique tels Madagascar et le Kamerun où l’on enregistrait déjà des soubresauts de mouvements de libération qui prenaient eux aussi des options allant vers la lutte armée, la France grâce au génie du Général De Gaulle, fut contrainte d’octroyer des indépendances à toutes ses colonies, sauf celles des îles des océans pacifique et indien, excepté les Comores qui ne sont libérés rien qu’à la fin des années 1970. Djibouti était aussi resté dans son escarcelle. Le Général De Gaulle résuma cette stratégie par cette formule historique et assez expressive : « j’ai desserré les liens avant qu’ils ne rompent ». D’où la FrançAfrique, qui a tant défrayé la chronique en tant que socle et support du néocolonialisme.
C’est dans ce registre néocolonial que s’inscrit le Gabon. Et voilà qui explique l’intervention militaire dans le pays en février 1964 pour réinstaller dans le fauteuil présidentiel le défunt chef de l’Etat Léon Mba Minko m’Edang, déposé par la toute jeune armée gabonaise, pour dérives autoritaires. Suite à ce premier coup d’Etat militaire vécu au Gabon, la FrançAfrique en tirades leçons et conseilla d’instaurer dans le pays un système de parti unique. Ce dernier ne fut pas formalisé par Léon Mba Minko m’Edang, affaibli qu’il était par la maladie qui le rongeait déjà .Le sentant proche de la mort, les mêmes conseillers de la FrançAfrique, dont le très tristement célèbre Jacques Foccart, tripatouillèrent la Constitution afin qu’un certain Albert Bernard Bongo devienne son dauphin constitutionnel.
S’emparant des leviers de l’Etat une fois Léon Mba Minko m’Edang disparu, Albert Bernard Bongo formalisa et institutionnalisa le parti unique en mua le BDG (Bloc Démocratique Gabonais de son prédécesseur en PDG (Parti Démocratique Gabonais).
Pour consolider son pouvoir, il fit appel à plusieurs cadres du pays qui l’ont accompagné 42 ans durant. En 1990, les luttes internes menées dans la clandestinité par des patriotes démocrates gabonais, dont ceux du Mouvement de Redressement national (Morena) crée en 1981, la conjoncture économique et politique mondiale, avec la dislocation du Bloc de L’Est européens ; tous ces facteurs obligèrent Omar Bongo Ondimba à démocratiser la vie politique du pays en y instaurant le multipartisme après une Conférence nationale non souveraine tenue en mars –avril 1990. Cependant, cela n’a été jusqu’à ce jour qu’une démocratie multipartite de façade. Des élections y étaient régulièrement organisées, sans possibilité d’alternance au sommet de l’Etat. Des membres d’une seule famille s’y sont installés perpétrant des coups d’Etat électoraux. Une dévolution monarchique a même eu lieu en 2009, à la suite du décès, d’Omar Bongo Ondimba auquel succéda son fils Ali Bongo Ondimba. Et la voie qui pouvait mener à l’alternance fut de plus verrouillée. Un verrou qui a failli sauter en 2016, avec l’élection de Jean Ping aux fonctions de Président de la République. La garde prétorienne d’Ali Bongo Ondimba en décida autrement en bombardant le Quartier général de ce dernier et en massacrant dans les, rues de Libreville des dizaines de Gabonais.
En 2023, le même Ali Bongo Ondimba a tenté de récidiver ; Et cette fois-ci, la même garde prétorienne s’est retournée contre lui et l’ a déposé pour des raisons diverses et le peuple gabonais a applaudi à se rompre les phalanges .Un Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions a été mis en place par les militaires qui ont perpétré le coup d’Etat, avec à sa tête le Général de Brigade Brice Clotaire Oligui Nguema.
Le décor institutionnel transitoire mis en place par ce dernier montre qu’il n’a pas voulu renverser la table, auquel cas l’ on parlerait de révolution et donc de libération. Il a tout simplement procéder à un réaménagement des meubles dans une même et vielle bâtisse, celle construite par Omar Bongo Ondimba et dont les fondations avaient faites par Léon Mba Minko m’Edang.
La preuve, on retrouve à la tête des principales institutions transitoires, des hommes et des femmes tels Jean François Ndoungou à l’Assemblée nationale de Transition, Paulette Missambo au Sénat, Séraphin Moudounga au Conseil économique, social et environnemental, Aba’a Owono à la Cour Constitutionnel pour ne citer que ceux-là. Se sont-ils libérés d’eux-mêmes ?
Généralement, une libération est toujours synonyme de révolution, c’est-à-dire une transformation radicale de la société, un renversement total de l’ordre ancien. Apparemment tel ne semble pas être le chemin pris par le Gabon.