Il y a-t-il des signes évidents d’une « théocratisation » de l’Etat gabonais, c’est-à-dire d’une dérive de la démocratie à la théocratie ? Certains de ces signes sont perceptibles.
Il y a d’abord certaines contradictions dans la Constitution jusque-là en vigueur .Il y a par exemple celle que l’on retrouve dans l’alinéa 1 du Préambule : « le peuple gabonais conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant l’histoire et animé de la volonté d’assurer son indépendance et son unité nationale, d’organiser la vie commune d’après les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie pluraliste, de la justice sociale et de la légalité républicaine… ». Puis, dans le Titre Premier, Article2, on peut lire « Le Gabon est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Il affirme la séparation de l’Etat et des religions et reconnaît tous les croyances, sous réserve du respect de l’ordre public »
Peut- on dire qu’un pays est une république laïque et rendre ses citoyens conscients et responsables devant Dieu ? De quel Dieu s’agit-il, Iahvé des Chrétiens, Allah des musulmans ou alors ceux de ces nombreuses croyances animistes gabonaises que les occidents qualifient de fétiches ? A- t-on pensé un seul instant qu’il existe au Gabon des personnes qui ne croient à aucun seul de ces dieux ? La Constitution n’est-elle pas le lieu commun à toutes ces catégories de personnes ? Ne doit-elle pas être neutre par rapport à toutes ces croyances aux fins que tous s’y reconnaissent et s’en réfèrent ? Où est dans ce préambule de la loi fondamentale de la République gabonaise le principe énoncé dans son article2 de la séparation de l’Etat et des religions dès lors que la notion de Dieu apparait dans ledit préambule ?
Puis, autres signes, il y a eu la conversion du défunt chef de l’Etat Omar Bongo, jadis Albert Bernard Bongo, à la religion de Mahomet. Tels des champignons, des minarets ont poussé du sol gabonais et plombent dans tous les quartiers des grandes villes du pays. De somptueuses mosquées ont été construites. Parallèlement aux fêtes religieuses chrétiennes Noel, Pâques, Pentecôtes et consorts, des fêtes musulmanes ont été, elles aussi, institutionnalisées. Mieux, et à propos de l’islam, Le Conseil supérieur des affaires Islamique du Gabon est devenu presqu’une institution républicaine. L’Imam Oceni était devenue une personnalité importante et incontournable que ses propres fils ont fini par pénétrer, eux aussi, le cœur de l’Etat .Son contrôle est souvent âprement disputé chaque fois qu’il y a un changement de régime politique dans le pays. Ce fut le cas lorsqu’Ali Bongo avait succédé à son père à la tête de l’Etat ? Cela a encore été le cas récemment au moment du passage d’Ali à Oligui. Des scissions sont intervenues. Des arbitrages ont eu lieu et une direction de ce CSAIG a fini par être imposé par les plus hautes autorités de l’Etat. Il y a eu des escarmouches et l’on a même frôlé le pire.
Tout ceci a fini par faire le lit des intégristes islamistes qui ont trouvé une terre fertile au Gabon. Ils y ont alors afflué, ces barbus que l’on rencontre tous les vendredis, jour de la prière musulmane, autour des mosquées qui prolifèrent à Libreville, ainsi que sur les trottoirs, les garages, les briqueteries, les antichambres de maison.
Si on n’y prend garde, le salafisme risque de s’enraciner en terre gabonaise et l’on vivra des situations très peu envieuses telles celles du Mali, le Burkina-Faso, du Niger et bien d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.
Il n’y a pas que l’islam qui cherche à pénétrer le cœur de l’Etat Gabonais, le fondamentalisme chrétien aussi. Lors de la prise du pouvoir par le CTRI, une scène insolite a eu lieu à la Présidence de la République, le plus haut lieu de l’Etat. Tous les corps d’armée qui venaient de perpétrer le Coup d’Etat s’y sont retrouvés pour une prière dite par un officier des Forces de Police Nationale. La Présidence de la République avait alors pris la configuration de l’une de ces églises dites du « réveil » qui foisonnent en ce moment dans le pays, animés généralement par des pasteurs et autres prophètes autoproclamés, vendeurs de miracles « au nom de Jésus Christ ».
Les bras levés vers le ciel, des alléluias et Amen y ont retenti, le tout s’accompagnant des « Au nom de Jésus ». Puis des ecclésiastiques, de tous bords, à l’instar des acteurs politiques, ont commencé à défiler au Palais Présidentiel du bord de mer de Libreville, avant qu’ils ne supplantent les premiers- nommés dans l’organisation du Dialogue national pour lequel ils ont joué les premiers rôles, reléguant ces politiques en arrière –plan. Le Bureau dudit dialogue était essentiellement constitué de prélats qui ont fait des arbitrages dans des choix politiques, économiques, sociaux et culturels, délaissant ainsi le spirituel à la faveur du temporel. Certains d’entre eux sont même pressentis pour faire partie du prochain gouvernement.
On ne serait pas là loin d’une théocratie qui ne dirait pas son nom.
C’est vrai, à des époques très anciennes, politique et religion faisaient bon ménage et étaient même inséparables. Selon la tradition ecclésiastique, Constantin, prétendant au trône de Rome, qu’il se disputait avec son frère Maxence, avait hérité de son père un penchant marqué pour le christianisme. Dans la réalité, soutiennent les historiens, ce goût était lié à des questions d’intérêt, car les chrétiens étaient alors nombreux et Constantin avait besoin de tous les soutiens possibles contre son frère, son riva au trône impérial.
En l’an 321, l’histoire apprend que Maxence fut battu, et Constantin resta le seul maître de l’empire. Toujours selon l’histoire en 325, il réunit à Nicée le premier concile œcuménique qui fixa la date de Pâques dans le calendrier liturgique, définit l’autorité des évêques, germe de la future toute- puissance ecclésiastique et décréta par vote que Jésus était un Dieu, et non un prophète mortel.
La même histoire ancienne apprend que l’année qui suivit ce concile de Nicée, Constantin décida encore la destruction et la confiscation de toutes les œuvres païennes, soit « hérétiques », dangereuses pour la nouvelle religion, puis il alloua à l’’Eglise un revenu fixe et installa l’évêque de Rome- devenu le Pape- dans le Palais de Latran. En 331 enfin, en commandant et en finançant la fabrication de nouveaux exemplaires de la Bible, tous les écrits chrétiens ayant été détruits plus tôt, en 303, par l’empereur païen Dioclétien, il rendait à la religion chrétienne un inestimable service, unique dans son histoire.
Et pendant plusieurs siècles, politique et religion furent intimement liés. Il n’y avait pas de séparation entre les pouvoirs temporel et spirituel. Cette séparation a eu lieu bien plus tard.
Aujourd’hui, hormis quelques républiques islamiques, il n’existe plus d’Etats théocratiques dans le monde, notamment dans des pays de culture judéo-chrétienne dont le modèle de démocratie libérale a inspiré la plupart des Etats africains, y compris celui du Gabon.